La place de l’Allemagne avant la guerre (de 14-18) vue par Keynes

Dans son livre Les conséquences économiques de la paix (1919), John Maynard Keynes traite des erreurs que de son point de vue les délégués à la conférence de Paris à laquelle il a participé, ont commises. Il  les résume dans la préface à la traduction française parue en 1920.

 

« En demandant l’impossible, ils abandonnèrent la proie pour l’ombre et perdront par la suite tout ce qu’ils croiront avoir obtenu. En concentrant leur attention sur des sujets politiques, ils négligèrent l’unité économique de l’Europe, et la sécurité qu’ils crurent obtenir n’est qu’illusoire, – illusoire, parce qu’elle ne peut pas résulter de l’occupation de plus vastes frontières et parce que les artifices Politiques actuels ne conviendront plus aux problèmes des années prochaines. »

Mais ce qui nous intéresse surtout ici, pour le moment, chacun pourra se reporter à l’intégralité du texte, c’est que Keynes consacre au début du livre un chapitre à la situation de l’Europe avant la guerre (de 14-18) et à la place qu’y occupe l’Allemagne. On y lit ce qui suit :

« Le système économique européen se groupait autour de l’Allemagne, prise pour soutien central, et la prospérité du reste du continent dépendait principalement de la prospérité et de l’esprit d’entreprise de l’Allemagne. La prospérité croissante de l’Allemagne fournissait à ses voisins un débouché pour leurs produits en échange de quoi les marchands allemands leur procuraient à bas prix ce dont ils avaient principalement besoin.
Les statistiques de l’interdépendance de l’Allemagne et de ses voisins sont écrasantes. L’Allemagne était le meilleur client de la Russie, de la Norvège, de la Hollande, de la Belgique, de la Suisse, de l’Italie et de l’Autriche-Hongrie ; elle venait en second dans les achats faits à la Grande-Bretagne, à la Suède, au­ Danemark ; en troisième dans les achats faits à la France. Elle était la source d’approvisionnement la plus abondante pour la Russie, la Norvège, la Suède, le Danemark, la Hollande, la Suisse, l’Italie, l’Autriche-Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie ; et la seconde pour la Grande-Bretagne, la Belgique et la France.
Dans notre cas particulier, nous exportions plus en Allemagne qu’en tout autre pays du monde, sauf l’Inde, et nous achetions plus en Allemagne qu’en tout autre pays, sauf les États-Unis.
Il n’y avait pas un pays européen, sauf ceux qui sont à l’Ouest de l’Alle­magne, qui ne fit avec elle plus du quart de son commerce total, et la propor­tion était bien plus forte pour la Russie, l’Autriche-Hongrie et la Hollande.
L’Allemagne ne faisait pas seulement du commerce avec ces États, elle leur fournissait une grande part des capitaux dont ils avaient besoin pour leur développement propre. Elle avait placé près de £ 500 millions en Russie, en Autriche-Hongrie, en Bulgarie, en Roumanie et en Turquie, sur un montant total de £ 1.250 millions de placements à l’étranger. Et par le système de la «pénétration pacifique», elle donnait à ces pays, non seulement des capitaux, mais une organisation. dont à avaient à peine moins besoin. Toute l’Europe située à l’est du Rhin était entraînée ainsi dans l’orbite industrielle  germanique, et sa vie économique était adaptée  en conséquence.
Mais ces facteurs internes n’auraient pas suffi à permettre à la population de subvenir à ses besoins sans la coopération de facteurs externes et de certaines dispositions générales communes à toute l’Europe. Beaucoup des circonstances déjà examinées étaient vraies de l’Europe prise dans son entier, et n’étaient pas particulières à l’Europe centrale, mais tout ce- qui suit était commun à tout le système européen.

Edition électronique du livre de John Maynard Keynes, Les conséquences économiques de la paix (1919). Traduction française de Paul Frank, 1920. Paris Éditions de la Nouvelle Revue Française, 1920, onzième édition, 237 pp.

 

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