Jürgen Holtz Prix du Théâtre de la Ville de Berlin 2013

Ach, wie gut dass niemand weiß, dass ich Rumpelstilzchen heiß!

Ah ! qu’il est bon que nul ne sache
Que je m’appelle Outroupistache

Heute back ich, morgen brau ich,
Übermorgen hol ich der Königin ihr Kind

Aujourd’hui au four, demain, je brasse,
Après-demain, j’enlève l’enfant à la reine

Pourquoi évoquer le conte pour parler de Jürgen Holtz, grand comédien allemand, à qui  le Maire de la Ville remettra le prix du Théâtre de Berlin , dimanche 5 mai 2013 ?

Tout simplement parce qu’au cours d’une longue conversation que nous avions eue en 1997, il avait évoqué cette atmosphère qui a imprégné son enfance au point de penser avoir rencontré ce Rumpelstilzchen, nain tracassin, et de l’avoir joué et rejoué. Ce Rumpelstilzchen qui, selon Ernst Bloch, qui enseignait encore à Leipzig quand Jürgen Holtz y étudiait le théâtre, « habite là où les loups et les renards se disent bonjour ». Alité souvent pour des bronchites chroniques, sa maman lui lisait tous les soirs un conte. Celui-ci en particulier l’avait marqué. L’univers des contes lui est resté présent. Il y puisse de l’énergie pour dénouer le carcan des certitudes qui nous habitent. On en trouve la trace dans le carton d’invitation à la cérémonie du 5 mai avec cette citation de Hölderlin :

« Le cœur joyeux de mon enfance ne vieillit pas encore »
(Extrait de A Neuffler de Friedrich Hölderlin)

Avec ce dessin de Jürgen Holtz :

Et cette autre citation :

« Car, aussi longtemps que nous vivons, nous restons les mêmes enfants »
(Jürgen Holtz)

C’est cet esprit d’enfance toujours là qui provoque son rire. C’est pour cette raison sans doute, qu’il est désarmant. Mais ce n’est pas la seule source. J’ai toujours été frappé aussi par son insatiable curiosité et sa soif de savoirs les plus divers, ce besoin constant d’élargir son horizon.

Son rire est cependant aussi fait d’expérience. Son sourire a l’air de dire : à moi, on ne la refait pas. Cette expérience est celle d’une sorte d’itinéraire de compagnonnage qui l’a mené à Weimar, Leipzig pour l’apprentissage du métier, (1953-1955) à Erfurt, premier engagement dans Les brigands de Schiller, au Nord, à Greifswald, enfin Berlin à la Volksbühne, au Deutsches Theater et au Berliner Ensemble où il est à nouveau aujourd’hui après un périple que l’a conduit en Allemagne de l’Ouest. Il a quitté la RDA en 1983. Cette année là, j’ai perdu sa trace – il avait coupé les ponts – avant de le retrouver à Francfort où il travaillera une dizaine d’années entre 1985 et 1995 après être passé par Munich. On le verra aussi à Mannheim dans le rôle de Nathan le sage de Lessing ou dans Don Carlos de Schiller. Mais revenons à Berlin. La première fois que je l’ai vu jouer, c’était dans une pièce de Heiner Müller au répertoire de la Volksbühne. Il y avait Die Bauern (Les Paysans la version remaniée de la Déplacée interdite), Der Bau (La construction).

Et surtout La mission que j’ai vu et revu je ne sais combien de fois. C’est là que j’ai vraiment fait sa connaissance. Il y jouait Debuisson, rôle qu’il a repris dans la mise en scène au Théâtre de Bochum. Les deux fois les mises en scène étaient de Heiner Müller en collaboration avec Ginka Tscholakowa pour celle de Berlin. Il sera Fatzer dans le montage de textes de Brecht mis en scène à Hambourg par Manfred Karge et Mathias Langhoff en 1978.

L’expérience de Jürgen Holtz est aussi celle des conflits avec le pouvoir. Cela a commencé très tôt, dès le lycée, où il fut exclu de l’organisation de jeunesse FDJ pour relation amoureuse illicite jusqu’aux mises en scène interdites. On n’imagine pas l’affligeante médiocrité culturelle des dirigeants du pays. Il avait pourtant opté pour la RDA pour devenir comédien, contre l’avis de son père car au moment du choix ses parents habitaient Berlin-Ouest. Il a toujours tenté d’échapper à ce qu’il appelle « le théâtre de concierges ». C’est Jürgen Holtz qui, en 1973, dans un texte célèbre Le dingo et la bouteille, dans la revue Sinn und Form donnera la réplique au philosophe Wolfgang Harich qui, avec son fusil à tirer dans les coins, avaient  pris à partie la « charlatanerie occidentale » en prenant pour exemple l’adaptation de Macbeth par Heiner Müller.

Jürgen Holtz a travaillé avec un grand nombre de metteurs en scène : Benno Besson, Ruth Berghaus, BK Tragelehn, Werner Schroeter, Jürgen Gosch, Einar Schleef. J’en oublie. Après la réunification, il retrouvera le théâtre à Berlin dans Wallenstein et Œdipe à Colone avec Peter Stein, et bien sûr Bob Wilson avec qui il sera la Reine Elisabeth dans Les sonnets de Shakespeare, Peachum dans l’Opéra de Quat’sous, Schigolsh dans Lulu etc….

Jürgen Holtz : la reine Elisabeth dans « les sonnets » de Shakespeare. Mise en scène Robert Wilson

A 81 ans, Jürgen Holtz est né en 1932, j’allais oublier de le préciser, il étonne encore bien des soirs sur les planches du Berliner Ensemble. « Je ne suis pas un retraité. Je suis un artiste », dit-il. Sa façon de se mettre en retrait, de prendre une autre respiration est de cultiver son jardin.

Peut-être que Rumpelstilzchen était aussi jardinier.

Il y a aussi le cinéma avec Margarethe von Trotta, le rôle de Kautsky dans son film Rosa Luxembourg ; le cinéaste israélien Ari Folman « Made in Israel », la télévision dans la série Motzki, d’innombrables lectures à la radio.

Jürgen Holtz s’était vu nommé comédien de l’année en 1993 par la revue Theater Heute. C’est au tour du Sénat de Berlin. Voici le texte de la motivation du jury :

Roi du monologue

« En Jürgen Holtz nous honorons un ronchon, quelqu’un qui parachève avec finesse les idées en parlant, un roi du monologue. Il est hostile aux troupes qui selon lui gardent des vaches sacrées dans des étables insalubres en entretenant des maladies contagieuses telles que l’orgueil, la pédanterie, la suffisance et la xénophobie. Parfois, pourtant, il donne l’impression, quand on le voit jouer, qu’il voudrait à lui tout seul rendre la qualité rare d’une vraie troupe – une conscience élevée de convention et de singularité attractive. Il s’exprime à partir d’une forme de compréhension sur scène devenue rare. C’est un acteur souverain qui règne à travers des pauses, des dilatations de rythmes et des modulations d’affects. Il peut être charmant. Mais il ne se propose jamais. En Jürgen Holtz, nous honorons quelqu’un qui est devenu célèbre parce que les spectateurs ont très vite remarqué contre quoi il est : Moritz Tasso[1] , Motzki[2], Créon[3]. En le regardant plus longuement, l’observateur ressent indubitablement pour quoi Jürgen Holtz s’engage. C’est un enthousiaste. Il est, pour reprendre ses propres termes, «inspiré par les dieux ». Art et politique sont pour lui inséparables. Non au sens d’avoir toujours raison mais en termes de conflit avec les ambivalences du pouvoir. Sans risque pour la vie et la pensée son métier lui serait anodin. Il a fuit devant la censure de la RDA, devant la routine des entreprises, il lutte contre l’absence de dimension onirique dans son propre travail. Il nous montre ce qu’est le théâtre d’acteur au sens noble du terme empreint de spiritualité protégé et libéré à la fois par un accord collectif »

[1] Personnage de la pièce de Peter Hacks Moritz Tasso, un individualiste qui veut déclencher à lui tout seul une révolution radicale. Mise en scène à la Volksbühne par Benno Besson en 1965.

[2] Dans une série télévisée de 1993, Jürgen Holtz interprète Friedhelm Motzki, un habitant de Berlin Ouest  grincheux vivant dans la peur d’une invasion de l’Est après la chute du mur. Dans Goodbye Lenin, il joue le rôle inverse.

[3] En 2010, dans Oedipe à Colonne mis en scène par Peter Stein au Berliner Ensemble.

Difficile de terminer sans évoquer ses indéfectibles soutiens : sa femme Katharina et sa fille Sophie.

La remise du prix aura lieu le 05. Mai 2013, 12:00 Uhr Haus der Berliner Festspiele

 

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