« Alliés de guerre » en mode préservatif

Après consultation du comité scientifique du SauteRhin, c’est à dire de moi-même (le virologue est excusé), nous continuons notre télétravail. Avec ce tract de crise épidémiologique.

Préservatif = Qui a la vertu ou la faculté de préserver en parlant de remède.

« Portrait eines cholera präservativ Mannes aus Saphirs Zeitschrift: der deutsche Horizont » (koloriert) Staatsarchiv Freiburg A 66/1. Portrait d’un homme qui se préserve du choléra. (Source)

Vers 1826, le choléra fait son apparition en Inde, gagne Moscou et la Russie en 1830. Il s’agissait de la deuxième pandémie de choléra. A partir de 1830, ce qui était  l’une des maladies infectieuses les plus craintes atteignait l’Europe centrale. En fonction des connaissances en vigueur à l’époque, on considérait qu’elle était transmise par contact physique avec un malade et par ses exhalaisons. Par de nombreuses mesures – désinfection au chlore, installation de quartiers de quarantaines – les autorités sanitaires du Grand Duché de Bade tentèrent de contrôler l’épidémie. Le plus souvent en vain. Le choléra a provoqué peur et effroi dans la population. Ces dernières ont, comme en tous temps et jusqu’à aujourd’hui, été exploitées par des charlatans préconisant non sans succès de nombreux remèdes plus ou moins insolites. Devant des recommandations contradictoires, et à défaut de savoir les discerner, il y a deux options : soit les ignorer toutes, soit les adopter toutes. C’est cette dernière possibilité qui a inspiré l’auteur autrichien Moritz Gottlieb Saphir (1795-1858) pour son journal satirique paraissant à Munich „der deutsche Horizont“. Pour mieux comprendre la caricature, l’auteur explique lui-même son dessin en ces termes :

« Un homme, une femme munis de tous les préservatifs doit se déplacer de la façon suivante. Autour du corps d’abord une peau de caoutchouc (Gummi elasticum), par dessus un gros emplâtre entouré des six aunes de flanelle. Dans le creux de l’estomac une assiette de cuivre. Sur la poitrine un gros sac de sable chaud, autour du cou un double bandage avec des baies de genièvre et des grains de poivre, dans les oreilles du coton imbibé de camphre, sous le nez, il a un flacon de vinaigre des quatre voleurs [en français dans le texte. En allemand Pestessig = vinaigre de la peste] et dans la bouche un cigare. […] Derrière lui attaché par une ceinture, il tire un chariot sur lequel se trouve une baignoire, quinze aunes de flanelle, un appareil pour bain de vapeur, une machine à fumage, huit brosses, dix-huit tuiles, deux fourrures, une chaise d’aisance et un pot de chambre. Sur le visage il lui faut encore un masque en pâte de menthe verte.

La description se termine par ces mots : Ainsi équipé et muni, on est sûr d’être le premier à attraper le choléra. »

Citation extraite de Claudia Eberhard-Metzger, Renate Ries : Verkannt und heimtückisch. Die ungebrochene Macht der Seuchen. Birkhäuser Verlag

La variante féminine se présente ainsi :

[Post Scriptum 2 : Jean-Paul Sorg me signale que le grand philosophe Georg Wilhelm Friedrich Hegel est mort de cette épidémie de choléra en 1831. C’est du moins l’une des hypothèses de son décès. Il y a une autre selon laquelle il aurait succombé à sa maladie de l’estomac. Ce type d’incertitude est présent aujourd’hui. J-P Sorg m’a envoyé aussi l’extrait d’un livre publié chez Rowohlt qui contient une caricature proche de celle ci-dessus et que voici.

Je le remercie]

Ce qui frappe bien sûr dans ces caricatures est qu’elles sont celles de préservatifs ambulants, il est question de corps en « déplacement » alors que nous vivons aujourd’hui une situation inverse de confinement. Drôle de mot d’ailleurs mais celui de guerre est pire encore.

CONFINEMENT, subst. Masc.

[Correspond à confiner2]

A.− Vieilli. Isolement (d’un prisonnier) :
1. Les quatre familles intéressées écrivirent à la cour pour solliciter la déposition, le confinement dans une forteresse, de l’homme convaincu de tant de désordres. Gobineau, Les Pléiades,1874, p. 219

B.− Fait d’être retiré; action d’enfermer, fait d’être enfermé (dans des limites étroites). Ma pensée reste captive entre Claire et moi, (…) et je vais dans le jardin pour échapper à ce confinement de la tendresse (Chardonne, Claire,1931, p. 203):

2. Jean-Jacques et Thérèse [logeaient] au quatrième. Il se trouva heureux. Il avait le goût du confinement. Il y avait en lui aussi, entre tant de personnages, un petit bourgeois rêveur et gourmand qui aimait ses pantoufles et les petits plats. Guéhenno, Jean-Jacques,En marge des « Confessions », 1948, p. 294.

Spéc. ,,Interdiction faite à un malade de quitter la chambre«  (Méd. Biol. t. 1 1970). Le confinement à la chambre (A. Arnoux, Zulma l’infidèle,1960, p. 11).

C.− BIOL. Maintien d’un être vivant (animal ou plante) dans un milieu de volume restreint et clos.

Confiner2, c’est à dire la seconde acception du verbe confiner qui signifie aussi être très proche de. Confinement évoque la cellule du même nom dans les prisons ou l’enceinte dans les centrales nucléaires. Et l’interdiction faite à un malade de quitter la chambre. On confine donc les prisonniers récalcitrants, les produits radioactifs, les malades contagieux. Aujourd’hui, le confinement concerne des personnes non malades, en bonne santé mais potentiellement et a-symptomatiquement contaminantes. Ce renversement est inédit. On aurait sans doute mieux fait de confiner les personnes et les foyers de contamination infectés mais pour cela il eut fallu les tester, ce que l’on n’a pas fait ou rapidement cessé de faire en France à la grande différence de l’Allemagne. Mais ceci pourrait changer aussi. Il n’y a confinement que parce qu’il n’y a pas assez de tests. L’Allemagne, en l’occurrence le Land de Baden-Württemberg, avait rapidement entrepris d’« isoler » l’Alsace de son côté du Rhin, la considérant comme zone à risques en raison principalement de l’absence de tests (Informations disponibles sur le site de l’Institut Robert Koch, le centre de veille épidémiologique fédéral).

[Post Scriptum  : le gouvernement du Bade-Wurtemberg a envoyé un courrier à tous les hôpitaux du Land en leur demandant de mettre à disposition des malades alsaciens les plus graves, des lits équipés d’appareils respiratoires. La Suisse a fait de même]

Si l’Allemagne a elle aussi pris des mesures de fermetures d’écoles, de « distanciation sociale », que Frédéric Neyrat appelle un « séparatisme de contrôle», on n’y avait pas considéré jusqu’à présent qu’une Ausgangsperre (littéralement interdiction de sortie) généralisée apporte un bénéfice supplémentaire. Mais c’était là un point de vue de virologue. Au fur et à mesure de l’extension de l’épidémie, les Laenders se rapprochent des modalités de confinement qui sont les nôtres. Ils ont des marges d’autonomie en matière de gestion sanitaire et peuvent anticiper des décisions fédérales comme cela avait été le cas pour la « fermeture » des frontières. Il y a aussi la pression de l’opinion publique. Cela dit, leur système sanitaire a subi les mêmes avaries néolibérales que le nôtre.

« Pour prévenir les infections et sauver des vies, le moyen le plus efficace est de briser les chaînes de transmission. Et pour cela, il faut dépister et isoler.
Vous ne pouvez pas combattre un incendie les yeux bandés. Et nous ne pouvons pas arrêter cette pandémie si nous ne savons pas qui est infecté par le virus.
Nous avons un message simple pour tous les pays : testez, testez, testez.
Testez tous les cas suspects. »

(Allocution liminaire du Directeur général de l’Organisation mondiale de la santé , OMS, lors du point presse sur la COVID-19 – 16 mars 2020)

Des tests, encore faut-il en avoir. Au lieu de cela, on isole les non dépistés. Sous la surveillance des drones de la gendarmerie alors que la police commence à contrôler le contenu des charriots à la sortie des supermarchés. Ces produits sont-ils vraiment de première nécessité ?

Être en résidence surveillée, en bonne, ou relativement bonne, santé, prisonnier de n’avoir rien, ni rien fait, est donc le sort de ceux qui sont désignés comme des « alliés de guerre » selon l’expression du Ministre de l’intérieur. Les actes de soin, les précautions et mesures préventives de santé fussent-ils, de crise, sévères ne sont pas des actes de « guerre », n’en déplaise au Président de la République qui a utilisé sept fois le mot. La « guerre » signifie la suspension des actes civiques. Il n’y a plus de civils dans la « guerre ». Drôle de « guerre » dans laquelle les fantassins sont envoyés au front tout nus, selon l’expression du chef des médecins régulateurs du Centre 15 dans le Haut-Rhin, avec ses « brancardiers », les étudiants en médecine, organisés de « manière martiale » selon l’expression du doyen de la Faculté de médecine de Strasbourg, avec ses « héros de l’ombre » (sic) : les supermarchés. Et à tous ceux-ci, la patrie reconnaissante ! Or, voilà que l’on passe de la guerre à l’état d’urgence sanitaire. On se demande qui panique.

Le « confinement » pose la question de la capacité à le supporter, indépendamment ?- peut-être pas  – du degré de coercition qui l’impose, question qui avait déjà préoccupé Blaise Pascal. On n’en retient en général qu’une seule phrase : « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre ». L’ensemble du passage, intitulé divertissement, mérite d’être relu. Comme nous avons du temps, le voici.

 Divertissement

« Quand je m’y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s’exposent dans la Cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir, n’en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d’une place. On n’achète une charge à l’armée si cher, que parce qu’on trouverait insupportable de ne bouger de la ville. Et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec plaisir. Etc.

Mais quand j’ai pensé de plus près et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective et qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près.

Quelque condition qu’on se figure, où l’on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royauté est le plus beau poste du monde. Et cependant, qu’on s’en imagine accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher. S’il est sans divertissement et qu’on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu’il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point. Il tombera par nécessité dans les vues qui le menacent des révoltes qui peuvent arriver et enfin de la mort et des maladies, qui sont inévitables. De sorte que s’il est sans ce qu’on appelle divertissement, le voilà malheureux, et plus malheureux que le moindre de ses sujets qui joue et qui se divertit

De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. Ce n’est pas qu’il y ait en effet du bonheur, ni qu’on s’imagine que la vraie béatitude soit d’avoir l’argent qu’on peut gagner au jeu ou dans le lièvre qu’on court, on n’en voudrait pas s’il était offert. Ce n’est pas cet usage mol et paisible et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition qu’on recherche ni les dangers de la guerre ni la peine des emplois, mais c’est le tracas qui nous détourne d’y penser et nous divertit.»

Blaise Pascal : Pensées

A propos de lectures, pourquoi pas de la poésie ? Donnez-nous notre poème quotidien. On peut pour cela suivre le fil utile pour confinés de Poezibao avec un reportage sur le 250ème anniversaire de la naissance de Hölderlin , Hörlerlin pour qui on peut aussi bien tomber vers le haut que vers le bas. Ou le collectif Pou qui collecte les poèmes du Grand confinement de 2020.

La question des mots justes est plus essentielle que jamais. Les éditions Gallimard proposent quotidiennement des tracts de crise

« Alors qu’aujourd’hui « les événements ont cessé de faire grève », comme l’écrivait Jean Baudrillard en d’autres circonstances (2001), l’écrit a plus que jamais sa place pour nous aider à employer les mots justes ; les mots justes qui nous saisissent autant qu’ils nous libèrent.»

Aux élèves confinés, la Nation apprenante : révisez avec France Culture

A Mulhouse :

Sur Instragram. Résister ! A quoi, au juste ? Du moins à la morosité ambiante. On bricole des masques à l’initiative du collectif d’ artistes regroupé à Motoco, en invitant tout le monde à y participer.


A retrouver sur le compte Instagramm motoco_and_co

 

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