Par une nuit étoilée d’août 2022

New Space et la privatisation de la « conquête spatiale ». Vers le Planétarium (Walter Benjamin). L’Ange noir de l’Histoire (Frédéric Neyrat). De la biosphère à la technosphère (Bernard Stiegler)

C’était une de ces chaudes soirées étoilées d’août 2022. Le vingt de ce mois-là précisément, dans un jardin de la vallée de Masevaux, en Alsace. Nous étions réunis autour d’un verre avec parents et amis. La nuit tombée, nous avons quitté un moment le refuge de fraîcheur sous les arbres pour aller à découvert observer le ciel. La Grande Ourse était bien nette et visible au-dessus de nos têtes ainsi que d’autres constellations. Nous pouvions encore les reconnaître. C‘est toujours un ravissement. Jusqu’à ce que, soudain, notre vision a été raturée par une sorte de long vers lumineux traversant le ciel. Il se déplaçait à bonne allure et se trouvait bien plus proche de nous que les astres.  Quoi t’est-ce ?, nous sommes nous demandés un bref instant. Puis, pas de doute. Cela ne pouvait être que le train de satellites Starlink qui avait capturé notre attention et pollué le ciel. On me dira que cela ne dure qu’un moment, la Grande Ourse reste là. Certes, mais comment y revenir après un tel détournement d’attention. Le désenchantement de l’univers se poursuit. Heureusement, pour l’instant du moins, le train spatial n’est pas encore porteur de publicité. Mais on imagine aisément que cela pourrait venir. Le milliardaire américain, Elon Musk, propriétaire de Starlink, avait déjà fait un coup de pub dans l’Espace en y envoyant une voiture à bord d’une fusée. En attendant de donner aux étoiles des noms de marques commerciales comme pour les équipes cyclistes.

Document Corse Matin. J‘ai choisi cette image parce qu’elle se rapproche le plus de ce que nous avons vu. Elle montre en même temps que le phénomène était visible partout. Ici en corse.

Et la Voie lactée ?

La Voie lactée ? Peut-être était-elle encore visible dans une vallée vosgienne. Nous l’avions complètement oubliée. N’a-t-elle pas déjà disparu de notre horizon par la pollution lumineuse des villes ? Selon un nouvel Atlas de la pollution lumineuse publié dans la revue Science Advances, à cause de l’omniprésence de la lumière artificielle, la Voie lactée est devenue invisible pour 60 % des Européens, rapporte Claire Levenson. Elle cite le point de vue de l’un des auteurs de l’étude, Fabio Falchi, pour qui cette enveloppe de brouillard lumineux, qui empêche la majorité de la population de la planète de voir notre galaxie, constitue « une perte culturelle d’une magnitude sans précédent». Christian Salmon enchaîne avec la question : « Que devenons-nous quand tout s’oppose à la nuit ? ». On pourrait aussi bien  se demander : que devenons-nous sans ce lointain cosmique qui nous est barré par une constellation techno-industrielle qui nous ramène et enferme sur terre ?

Intéressons-nous, en effet, d’un peu plus près au phénomène observé cet été. Starlink est un fournisseur d’accès à Internet par satellite de la société Space X. Il consiste en une pléiade de satellites de télécommunications qui, à la différence des précédents, géostationnaires, est placée sur une orbite terrestre basse, car celle-ci permet d’accélérer la transmission des données (latence). La constellation commerciale est en cours de déploiement depuis 2019 et repose sur environ 2000 satellites opérationnels en juin 2022. À cette date, Starlink compte environ un demi million de clients dans une dizaine de pays, dont la France, qui ont autorisé la société à utiliser les fréquences nécessaires au système. Il faut préciser que l’accès à Internet via ce dispositif a besoin d’une installation bien terrestre, des relais ancrés sur terre, un investissement de quelques centaines d’euros (684 euros précisément) dans un kit de connexion (l’antenne satellite, le routeur Wi-Fi, le bloc d’alimentation, le trépied de montage et les câbles). L’abonnement au service, lui, s’élève à une cinquantaine d’euros par mois. Une telle utilisation de l’espace sert d’abord à revenir sur terre. Et aux endroits disposant des moyens de se l’offrir. La pollution du ciel, que nous avons observée cet été, n’en est qu’à ses débuts. L’entreprise Amazon n’est pas en reste. Elle est sur la ligne de départ, imminent, semble-t-il, et prévoit d’envoyer 3 236 satellites en orbite basse pour son projet Kuiper, concurrençant directement Starlink. Alors que ce dernier vise à déployer au moins 12 000 satellites – et potentiellement 30 000 -, celui d’Amazon prévoit d’en libérer un peu plus de 3 200 afin de fournir une couverture Internet haut débit à faible latence. Pour compléter le tableau, il est à noter que la Chine n’est pas en reste. L’Europe non plus avec OneWeb fusionné avec Eutelsat. Au total, ce seront des dizaines de milliers de satellites en orbite basse qui vont bientôt essaimer et allumer le ciel.

Si de tels envois nous ont perturbés cet été, ils constituent également un problème pour les télescopes des astrophysiciens. Dans son « enquête sur Elon Musk, l’homme qui défie la science », Olivier Lascar, cite Franck Selsis, directeur de recherche au laboratoire d’astrophysique de Bordeaux (CNRS) :

« Nous avons été mis devant le fait accompli, et avons réalisé ce à quoi il fallait faire face sans qu’il n’y ait eu un débat préalable. […] C’est lorsque se sont mis à vibrer tous les téléphones du monde, parce que les collègues étaient paniqués en voyant passer un train de lumière, la nuit dans le ciel, que la question a commencé à être discutée »

(Olivier Lascar : Enquête sur Elon Musk / L’homme qui défie la science. Alisio Sciences. p. 14)

Elon Musk pratique la stratégie du fait accompli. Avec la complicité des agences de « contrôle » tant états-uniennes qu’ internationales.

L’étoile Albiréo, dans la constellation du Cygne, dont la photo est rayée par le passage des satellites Starlink. – CC-BY 4.0 / Rafael Schmall / Wikimedia Commons via Reporterre

Certes, le train lumineux se dissipe, les satellites se dispersent, cessent d’être visibles à l’œil nu. Mais ce n’est pas avec l’œil nu que travaillent les astrophysiciens. Les constellations industrielles disruptent non seulement le domaine optique mais également celui des fréquences. Olivier Lascar évoque la conférence mondiale des radiocommunications qui s’est tenue, fin 2019, à Charm el-Cheikh, en Égypte. Les spécialistes des études atmosphériques avaient plaidé, en vain, pour une nette séparation des fréquences utiles à la météo et celle des antennes 5G arguant que ces dernières sont dangereusement proches de celles utilisées par les satellites météorologiques pour mesurer la teneur en eau de l’air. Amertume chez les météorologistes qui n’ont pas été entendus alors que nous sommes en plein dans un processus de changement climatique. L’Union internationale des télécommunications a choisi le business contre la science, note l’auteur de l’opus cité.

Ajoutons que, par ailleurs, ces objets spatiaux ne sont pas conçus pour être durables. Ils sont destinés à devenir des déchets dans l’Espace. Nous ne sommes plus, en matière spatiale, avec la privatisation, dans une atmosphère de coopération internationale mais de concurrence voire de guerre économique pour la « souveraineté fonctionnelle » selon l’expression de Frank Pasquale, c’est à dire avec l’objectif de devenir un passage obligé, selon une verticalité quasi féodale.

New Space

On désigne sous l’expression New Space l’entrée de l’entreprenariat privé dans le domaine spatial jusque là réservé aux agences publiques quand bien même elles seraient associées au secteur privé.

« L’émergence du New Space marque aussi la libéralisation du marché spatial. Avec la montée en puissance de puissances privées spatiales incontournables, dont SpaceX est l’archétype, la patrimonialisation privée de l’espace est enclenchée. Au détriment de l’État qui, ayant perdu le monopole, continue tout de même d’être impliqué et de participer à certains projets. » (Olivier Lascar : O.c. p.26)

Comme le note un astrophysicien cité dans le livre : « Starlink, c’est ça. La mainmise d’une entreprise privée sur un bien commun de l’humanité » (p. 87). Cela ne fonctionne pas sans financements publics. Et les profits ne s’encaissent pas sur la lune.

Outre le peu d’utilité réelle de la 5G voire de la 6 ou de la 7 via l’Espace, puisque c’est de cela dont il est question, nous devrions tout de même être capables de nous interroger sur certains besoins qui frisent l’idolâtrie technologique. Faut-il vraiment passer par un satellite pour connecter la puce sous le chausson de la mamie ou du papy résidant en EHPAD au GPS de ce qu’ils appellent un dispositif «anti-errance » et à la mine de données afférente ?

Les services d’accès à l’Internet ne sont pas le seul domaine de la privatisation de l’espace, qui va bien au-delà dans la « conquête spatiale »

« Aujourd’hui, plusieurs entreprises privées sont rentrées dans la course à l’espace, parmi lesquelles Blue Origin, Space X, RocketLab ou Virgin Galactic. En janvier 2020, Axiom Space se voyait attribuer un contrat par la NASA dans le but d’installer un module sur la station spatiale internationale. Le 23 avril 2021 le voyage de quatre astronautes – dont le Français Thomas Pesquet – vers l’ISS se faisait à bord du Crew Dragon de SpaceX. Le même mois, l’entreprise d’Elon Musk était choisie par la NASA pour développer le système d’alunissage lors de sa prochaine mission lunaire. Les sociétés américaines ne sont pas les seules à investir l’espace. En avril 2019, la société israélienne SpaceIL lançait la première mission lunaire financée par des fonds privés, en partenariat avec SpaceX. »

(Nashidil Rouiaï, géographe La guerre des étoiles, une nouvelle géopolitique de l’espace

Et l’Inde vient de lancer sa première fusée spatiale privée. Les objectifs de cette course sont bien terre à terre. Il y a de la matière précieuse là-haut.

« Si les acteurs privés et publics se pressent pour développer leurs programmes spatiaux, c’est que l’espace regorge de précieuses ressources : les astéroïdes sont riches en or, rhodium, fer, nickel, platine, tungstène, ou encore cobalt, et la concentration en métaux rares y est jusqu’à cent fois supérieure à celle de la croûte terrestre. Le marché pourrait représenter plus de 100 milliards de dollars pour les industriels d’ici 2050. Asteroid Mining Corporation, Planetary Resources et Deep Space Industries se sont déjà lancées dans des programmes de collecte de matière astéroïdale».

Dans le même temps, le Traité de l’Espace est mis à mal.

« Pourtant depuis 1967 toute appropriation de l’espace extra-atmosphérique est interdite. Il est considéré comme un héritage commun de l’humanité et régi par le Traité de l’espace, signé par 132 pays, dont les États-Unis, la Russie et la Chine. Ce traité interdit toute revendication de souveraineté « par voie d’utilisation ou d’appropriation » et rend l’espace ouvert à tous pour « l’exploration et la découverte pacifiques ». Mais en 2015, Barack Obama signait le Space Act, un texte permettant aux entreprises américaines de posséder ou de vendre les ressources extraites de l’espace».

(Nashidil Rouiaï : article cité)

L’ anthropisation de l’espace est entropique.

Noir

Revenons à notre nuit étoilée pour nous demander ce que nous voyons quand nous observons le ciel.

« Levez les yeux dans la nuit, et vous n’aurez qu’une vision du passé. L’univers que nous observons, mesurons, et enregistrons n’est pas le cosmos actuel. Jamais nous ne pourrons voir l’univers tel qu’il est, là, maintenant ».

(Yael Nazé, Astronome FNRS à l’Institut d’astrophysique et de géophysique, Université de Liège : Voyager dans le temps en levant les yeux au ciel)

Nous regardons du passé, jamais un présent en raison de la vitesse de la lumière. Le visible qui est donc du passé ne représente cependant que 5 % de l’univers, l’obscur, le noir est refoulé au profit d’un fétichisme de l’observable, souligne Frédéric Neyrat :

« Du Space Age au New Space, la cosmologie se réduit à l’obsession des objets et des matières, des choses et des domaines colonisables : l’un des fers de lance de l’astrophysique pour grand public est la recherche aujourd’hui d’exoplanètes, réduites à celles d’entre elles qui ressembleraient à la Terre, et seraient pas conséquent – fantasmatiquement – colonisables. Ce qui est refoulé de cette cosmologie est l’espace sombre entre les planètes, l’espace inter-sidéral, l’obscurité majeure qui règne dans l’univers : la matière observable ne constituant que 5 % de l’univers, à quoi s’ajoute 27 % de matière noire et 68 % d’énergie noire, l’une et l’autre n’étant détectables qu’indirectement, par leurs effets. Au niveau cosmologique comme anthropologique, politique et social, la réalité Noire est refoulée, éjectée hors du centre, scotomisée [rejetée de la conscience], ou assujettie aux plans de l’Anthropocène et du New Space qui le supporte ».

(Frédéric Neyrat : L’Ange noir de l’Histoire. Cosmos et technique de l’Afrofuturisme. Ed. MF. Pp 44-45)

C’est entre les étoiles que voyage l’Ange noir de l’histoire, référence directe à l’Ange de l’histoire de W.Benjamin. Frédéric Neyrat s’appuie surtout sur les arts de l’Afrofuturisme et notamment l’œuvre du pianiste jazz Sun Ra, pour dégager une alternative de « recosmisation de la Terre ».

« [NOIR CAMARADES EST LE COSMOS, TRÈS NOIR] »
(Heiner Müller : Germania 3 Les spectres du Mort-Homme)

Pour un commentaire du texte de Müller, voir ici.

Vers le planétarium (Walter Benjamin)

Walter Benjamin nous permet de nous interroger sur ce monopole de l’œil dans le rapport au cosmos. Rien ne distingue d’avantage l’homme antique de l’homme moderne que l’expérience cosmique, qui ne se concevait anciennement que dans l’ivresse, im Rausch, et non par l’exclusivité accordée à la « relation optique » à l’univers, einer optischen Verbundenheit mit dem Weltall, écrit-il dans Vers le planétarium. Et cette expérience ne se communiquait qu’en communauté. Il ajoutait :

« C’est la marque de la menaçante confusion de la communauté moderne que de tenir cette expérience [de l’ivresse cosmique] pour quelque chose d’insignifiant qu’on peut écarter, et que de l’abandonner à l’individu, qui en fait un délire mystique lors de belles nuits étoilées. Non, elle s’impose à nouveau à chaque époque, et les peuples et les espèces lui échappent bien peu, comme on l’a vu, de la manière la plus terrifiante, lors de la dernière guerre [1914-18], qui fut une tentative pour célébrer de nouvelles noces, encore inouïes, avec les puissances cosmiques. Des masses humaines, des gaz, des forces électriques furent jetées en rase campagne. Des courants de haute fréquence traversèrent le paysage, de nouveaux astres se levèrent dans le ciel, l’espace aérien et les profondeurs résonnèrent du bruit des hélices, et partout on creusa des fosses à sacrifice dans la Terre-Mère [Muttererde]. Ces grandes fiançailles avec le cosmos s’accomplirent pour la première fois à l’échelle planétaire, c’est à dire dans l’esprit de la technique. Mais comme la soif de profits de la classe dominante comptait expier sur elle son dessein, la technique a trahit l’humanité et a transformé la couche nuptiale en bain de sang. La domination de la nature, disent les impérialistes, est le sens de toute technique. […] La technique n’est pas domination de la nature mais maîtrise du rapport entre la nature et l’humanité ».

(Walter Benjamin : Vers le planétarium in Sens unique. Lettres nouvelles/ Maurice Nadeau. 1978. Trad. Jean Lacoste. Pp 241-242)

Walter Benjamin semble nous inviter à construire une alternative au devenir guerrier du chaos qui s’installe dans le cosmos. Au fait aérien, s’est ajouté le fait spatial. Il date de 1957, année du lancement du premier Spoutnik soviétique. Bernard Stiegler rappelle que, depuis, la conquête spatiale a offert au capitalisme militaro-industriel

« la nouvelle infrastructure relativement déterrianisée (encore dans les orbes de l’attraction terrestre) à travers laquelle l’échelle biosphérique allait être dépassée ».

(Bernard Stiegler : Qu’appelle-t-on panser ? 1 L’immense régression. Les Liens qui libèrent. p. 213-4)

« L’échelle biosphérique allait être dépassée ».

De la biosphère à la technosphère

Nous avons désormais en face de nous, dans le ciel, des constellations industrielles. « La planète est empaquetée dans le web », encapsulée. Capsule n’est peut être pas une image adéquate dans la mesure où nos artefacts, nos smartphones par exemple, sont reliés aux satellites et forment un dense réseau, un énorme filet de réseaux, un corset. Ces exorganismes complexes sont reliés endosomatiquement à nos organes biologiques. Par leurs algorithmes, ils

« modélisent nos pulsions, nos rêves, nos projets. lls écrivent le scénario de notre rapport au monde. Ce sont les architectes et les scénographes de notre petit théâtre intérieur ».

(Christian Salmon : Ces boîtes noires qui gouvernent nos vies)

Ces dispositifs numériques sont plus rapides que notre système nerveux. Tapons un texto. Notre cerveau met du temps pour transmettre aux bouts de nos doigts la prochaine lettre. Mais la machine, elle, écrit plus vite que nous ne le pouvons le mot que nous sommes entrain d’orthographier, plus même, elle nous le corrige. En s’appuyant sur la collecte de nos écrits antérieurs.

Tout cela fait système. On mesure d’ailleurs le caractère systémique et privatif en examinant les autres activités du nouvellement géopoliticien Elon Musk, de Newspace à Twitter en passant par « l’ordinateur sur roues », Tesla, les implants cérébraux, et avec l’objectif à plus long terme de coloniser la Planète Mars via la Lune. La convergence des systèmes passe par la numérisation et l’automatisation. Le tout enrobé de guimauve transhumaniste. Musk vient de se nommer lui-même « twit chief » ce qui signifie crétin en chef ou chef crétin à moins que ce ne soit idiot utile ou disrupteur et licencieur en chef. Ou tout simplement bête, car il ne pense rien de ce qu’il fait, se contentant de faire.

Les constellations artefactuelles sont le produit des technosciences. Olivier Lascar pointe le fait que l’une des principales méthodes d’Elon Musk consiste à « malmener la méthode scientifique ». Nous sommes loin du rêve de Theilhard de Chardin d’associer à la biosphère une noosphère, une sphère de la pensée.

Le terme de biosphère a été érigé en concept au XXe par le scientifique russe Vladimir Vernadsky. Il avait proposé d’y voir non seulement la masse des organismes vivants terrestres, mais aussi ses interactions avec l’air, l’eau et le sol qui alimentent la vie organique, et le Soleil où elle puise une bonne part de son énergie. S’appuyant sur ce concept, celui de technosphère comprend l’ensemble des exorganismes, du plus simple au plus complexe, c’est à dire tous nos artefacts, nos relations sociales et institutionnelles désormais interconnectés avec une « ceinture satellitaire ». Bernard Stiegler précise que ce n’est qu’à partir du premier satellite artificiel que la biosphère devient pleinement technosphère :

« tout exorganisme est relativement localisé dans la biosphère, sur une échelle quelconque, la biosphère elle-même étant l’échelle maximum jusqu’au XXème siècle : le Spoutnik et les exorganismes de la« conquête spatiale » projettent alors la localité vitale exorganique au-delà de la biosphère, celle-ci devenant ainsi pleinement la technosphère ». (Bernard Stiegler : o.c. p. 214)

Que se passe-t-il alors ? Stiegler enchaîne sur le caractère surplombant et ubiquitaire de la convergence des systèmes, qui englobent la biosphère :

« C’est depuis cette ceinture satellitaire que les exorganismes complexes technosphériques peuvent court-circuiter « infrasomatiquement » les localités terriennes tout en déployant leurs activités dans tous les secteurs industriels (armement, télécommunications, mass media, automobile, services de transports et d’hébergement, santé, équipements urbains, aménagement du territoire, domotique, agriculture, « éducation », distribution, etc.) – et sur tous les territoires ».(Ibidem)

Pour Stiegler, la technosphère est constituée de la biosphère et de l’exosphère qu’il précise satellitaire :

« Si la biosphère tente de s’élargir à travers navettes spatiales, sondes et observatoires dans l’espace, ces dispositifs demeurent dépendants de leur « segment-sol », et la biospshère elle-même, désormais entourée par une exosphère satellitaire, ne peut jamais, en aucun cas, s’émanciper d’un point de vue situé – aussi bien dans l’espace (le système solaire au sein de sa galaxie) que dans le temps (moins de cinq milliards d’années avant l’extinction du soleil, plus de treize milliards d’années après la formation de l’univers, moins de cinq milliards d’années après la formation de la Terre, près de quatre milliards d’années après l’apparition de la vie). »

(Bernard Stiegler : Risque, ouverture et compromis. Partie 3 de Démesure, promesses, compromis.

Que faire face à cette anthropisation entropique de l’Espace ? Il y a bien sûr les savoirs à construire et partager, des savoirs qui ne se résument pas aux sciences mesurables. Mais nous reste aussi à inventer un nouvel imaginaire pour un nouveau cosmos comme contre-tendance au chaos de la géo-ingénierie. Frédéric Neyrat en appelle à l’art,

« un art capable de proposer un autre usage de la technologie, une autre articulation entre celle-ci et l’univers, autrement dit une autre individuation technologique qui, au lieu de fétichiser la technologie, la situerait comme médiation géo-cosmologique »

(Frédéric Neyrat : L’Ange noir de l’Histoire. Cosmos et technique de l’Afrofuturisme. Ed. MF. p.45)

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