L’ami Jürgen

Il s’est éteint au petit matin du 21 juin 2020. A l’âge de 87 ans. L’ami Jürgen Holtz.

Extrait du film de Thomas Knauf : HOLTZ Gespräche um nichts (Holtz, conversations sur rien. 2014)

J’ai déjà évoqué sa personnalité ici et traduit son témoignage, celui de l’itinéraire singulier d’un comédien dans les Allemagnes et d’un pan de l’histoire des théâtres allemands d’avant et après la réunification.

Jürgen Holtz fut une très forte présence sur les scènes allemandes. Il y déploya une énergie incroyable. Il était d’autant plus impressionnant de le voir, solide comme un roc, dès lors qu’il était sur les planches, quand on savait qu’il était sur ses vieux jours à la peine physiquement dans la vie quotidienne. On s’est vu, après les représentations de La Mission de Heiner Müller mise en scène par l’auteur à la Volksbühne de Berlin (Est). C’était en 1980. Il jouait le rôle Debuisson et de l’Homme dans l’ascenseur. Inoubliable. Comme le dit la chanson : On s’est vu, on s’est reconnu. On s’est entendu. On s’est perdu de vue, quand il a quitté RDA et qu’il avait, comme on dit, coupé les ponts. On s’est retrouvé à Francfort sur le Main où il s’était installé avec Katharina, sa femme, et leur fille Sophie. On s’est reperdu puis retrouvé à Berlin où il a fini sa carrière au Berliner Ensemble, le théâtre de Brecht, propulsé, si je puis dire, par Bob Wilson. Oserais-je dire que c’était réciproque ? Je crois que oui. En tous les cas, une grande complicité les réunissait. Son dernier grand rôle, à 86 ans, a été celui de Galileo Galilei, dans ce qui est sans doute la plus grande pièce de Bertolt Brecht, dans la mise en scène de Frank Castorf. Il y a brillé en particulier dans le monologue final. Ce n’est pas pour rien qu’il fut surnommé « le roi du monologue ». Il disait que ce sont les textes qui portent les acteurs et non l’inverse. En juillet 2019, alors qu’il devait lire des extraits de Ödipe à Colone de Sophocle, dans la traduction de Hölderlin, il perdit sa voix, à Delphes. Il était critique envers le théâtre de son temps à qui il reprochait de rabaisser, de raboter, de banaliser sa dimension poétique  là où il voulait pouvoir y voir les étoiles. Il était resté fidèle au petit personnage qu’il avait découvert dans son enfance : Rumpelstilschen, Outroupistache, ce nain tracassin dont Ernst Bloch disait qu’il « habite là où les loups et les renards se disent bonjour ». Artiste et artisan du théâtre, il s’est efforcé de prendre le relais de la grande tradition du théâtre d’acteurs allemand en se demandant toujours à qui et comment il pourrait le passer à son tour. On l’a vu aussi au cinéma, à la télévision qu’il aimait moins que la radio pour laquelle il adorait dire des textes. Nous avons passé quelques nuits entières avec cigares et whisky à tenter de comprendre le monde dans lequel nous vivions. Il voulait avec obstination réunir le ludique et la pensée, ce dont il faut conquérir la liberté. Il aimait dessiner et peindre aussi. Ses visions d’horreurs souvent tournées en dérision, il leur donnait une dimension ubuesque, comique.

Jürgen Holtz : Détail de Guignol et poupée ont un enfant.

Une exposition posthume de ses récentes créations des années 2019-2020 s’est ouverte à Berlin à la galerie Bernet-Bertram sous le titre Kaspar, Puppe, Krokodil (Guignol, poupée, crocodile).

Les germanophones pourront retrouver sur le site du Berliner Ensemble, l’hommage de Frank Raddatz

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