Hypérion ou l’ermite de Grèce
«Hölderlin, lorsque parut, pour les Pâques de 1797, le premier volume de son « roman grec », Hypérion, était presque totalement inconnu. Né en 1770 à Lauffen, sur le Neckar, et destiné à une carrière théologique, « mille essais poétiques » l’avaient occupé dès l’adolescence. Les cinq années qu’il passa au « Stift » de Tübingen, où il fut l’ami de Hegel et de Schelling, entre 1788 et 1793, furent celles des enthousiasmes décisifs : pour la Révolution française, pour la philosophie de Kant, pour la poésie et la personne de Schiller alors en pleine gloire, mais plus profondément encore pour la Grèce antique, celle d’Homère, de Pindare, de Sophocle et de Platon. […] Hypérion est le seul livre de Hölderlin qui ait paru avant 1806, c’est-à-dire avant que le poète ne sombre dans la folie.»
Extrait de la préface de Philippe Jacottet à qui l’on doit aussi les traductions ci-dessous tirées du livre Hölderlin : Hypérion ou L’Ermite de Grèce précédé de Fragment Thalia. Trad. de l’allemand et préfacé par Philippe Jaccottet Collection Poésie/Gallimard (n° 86), Gallimard
(Textes lus par Jens Harzer. Thalia Theater Hamburg)
(Vous pouvez pour les deux premiers, dans les paramètres sous-titres, activer la génération du texte allemand sur la vidéo)
Hypérion à Bellarmin
« Il est une éclipse de toute existence, un silence de notre être où il nous semble avoir tout trouvé.
Il est une éclipse, un silence de toute existence où il nous semble avoir tout perdu, une nuit de l‘âme où nul reflet d‘étoile, même pas un bois pourri ne nous éclaire.
J‘avais retrouvé le calme. Plus rien ne me faisait errer à la mi-nuit. Je n’étais plus dévoré par ma propre flamme.
Tranquille et solitaire, je gardais les yeux fixés sur le vide au lieu de les porter vers le passé ou l‘avenir. Les choses, lointaines ou proches, n‘assiégeaient plus mon esprit ; quand les hommes ne me contraignaient pas à les voir, je ne les voyais pas.
Naguère, ce siècle m‘était apparu souvent comme le tonneau des Danaïdes, et mon âme avait gaspillé tout son amour à le remplir ; maintenant, je n’en voyais plus le vide, et l’ennui de la vie avait cessé de peser sur moi.
Plus jamais je ne disais aux fleurs : vous êtes mes sœurs ! Ou aux sources : nous sommes de la même race ! Je donnais à chaque chose son nom, fidèlement, comme un écho.
Ainsi qu’un fleuve aux rives arides où nulle feuille de saule ne se reflète dans l’eau, le monde passait devant moi sans ornements. »
Film & Konzept Marina Galic
Musik Robert Galic
Hypérion à Bellarmin
« Je fus heureux une fois, Bellarmin ! Ne le suis-je pas encore ? Ne le serais-je pas, même si le moment sacré où je la vis pour la première fois avait été le dernier.
Je l’aurais vue une fois, l’unique chose que cherchait mon âme, et la perfection que nous situons au-delà des astres, que nous repoussons à la fin du temps, je l’ai sentie présente. Le bien suprême était là, dans le cercle des choses et de la nature humaine.
Je ne demande plus où il est : il fut dans le monde, il peut y revenir, il n’y est maintenant qu’un peu plus caché. Je ne demande plus ce qu’il est : je l’ai vu et je l’ai reconnu.
Ô vous qui recherchez le meilleur et le plus haut, dans la profondeur du savoir, dans le tumulte de l’action, dans l’obscurité du passé ou le labyrinthe de l’avenir, dans les tombeaux ou au dessus des astres, savez-vous son nom ? Le nom de ce qui constitue l’Un et le Tout ?
Son nom est Beauté.
Saviez vous ce que vous vouliez ? Je ne le connais pas encore, mais je le pressens, le règne de la nouvelle divinité, je cours à lui, entraînant les autres avec moi, comme le fleuve entraîne ses frères à l’Océan.
C’est toi qui m’as montré la voie. C’est avec toi que j’ai commencé. Les jours où je ne connaissais pas encore ne valent pas d’être dits.
Ô Diotima, Diotima, fille du ciel ! »
Hypérion à Bellarmin
Merveilleux Hölderlin, merci pour cet article.