La Réforme, l’écriture et la révolution technologique de la grammatisation

Il m’a amusé de subvertir l’affiche et la couverture du catalogue de l’exposition Le vent de la réforme à la Bibliothèque universitaire de Strasbourg par deux citations respectivement extraites du livre de Matthieu Arnold, Luther (Fayard p.325) et de Sylvain Auroux La révolution technologique de la grammatisation (Editions Mardaga 1995). L’affiche a quelque chose de choquant venant d’une bibliothèque universitaire, qui n’en donne aucune précision, dans la mesure où elle perpétue une légende avérée. Il est à peu près certain que cette gestuelle n’est pas attribuable à Luther quand bien même on pourrait discuter pour savoir si les 95 thèses de la proposition de disputation portant essentiellement sur les indulgences ont été affichées ou non. C’était une pratique de l’époque que d’informer d’une proposition de controverse. La même légende se retrouve dans la bande dessinée consacrée à Luther. Où le geste se veut en outre révolutionnaire.
Il est d’autant plus curieux que la légende se perpétue en France qu’on y croit de moins en moins en Allemagne. Cela fait partie du storytelling de l’Église réformée. Le mettre en cause revient à dire à un Suisse que Guillaume Tell n’a pas existé. Il y a d’ailleurs une énorme contradiction entre ce geste qui se veut populaire, rebelle, et le contenu de ce qui est affiché, un texte en latin destiné à une disputatio universitaire.
Je voudrais dans ce qui suit m’interroger sur ce que signifie l’expression fille de la langue vernaculaire et de l’imprimerie ? Et montrer que, si un outil se forge dans l’époque de la Réforme, c’est outil est linguistique. Au terme d’un processus qui la dépasse et qui est d’une portée considérable. Mais avant de voir, avec Sylvain Auroux ce qu’est la grammatisation, en quoi elle est une technologie et une révolution, un rappel de l’état de la langue à l’époque où Martin Luther entreprend la traduction de la Bible en langue allemande.

Langue thudesque

Sans remonter trop loin, rappelons que les Serments de Strasbourg, au 9ème siècle, que prononcent, contre leur frère Lothaire, les petits fils de Charlemagne, Charles plus tard surnommé le Chauve et Louis qui sera appelé le Germanique, consignent pour la première fois grâce au chroniqueur Nithard, autre petit-fils de Charlemagne, l’usage officiel d’autres langues que le latin à savoir la lingua theudisca (langue thudesque) la romana lingua. (J’en ai parlé ici). Voici à quoi ressemblait la première :
Obar Karl then eid, then er sinemo bruodher Ludhuuuige gesuor, geleistit, indi Ludhuuuig min herro, then er imo gesuor, forbrihchit, ob ih inan es iruuenden ne mag, noh ih noh thero nohhein, then ih es iruuenden mag, uuidhar Karle imo ce follusti ne uuirdit. » (Si Charles observe le serment qu’il a juré à son frère Louis et que Louis, mon seigneur, rompt celui qu’il lui a juré, si je ne puis l’en détourner, ni moi ni aucun de ceux que j’en pourrai détourner, nous ne lui prêterons aucune aide contre Charles).
Avec le mot theudisca, nous avons, en passant par diutisch, l’origine du mot deutsch, allemand, qui signifie du peuple.
Je résume à grands traits. Suit un siècle d’alphabétisation. L’expression est utilisée dans une optique large par le linguiste Karl-Heinz Göttert  au sens où :
« la langue allemande a dû être élaborée pour le passage à l’écrit avec beaucoup d’apprentissages : adapter les lettres latines, élargir le vocabulaire, fluidifier les phrases ». (Karl-Heinz Göttert : Deutsche Sprache. 100 Seiten. Reclam)
Autour de l’an 1000, ce sera chose à peu près faite et cela permettra l’apparition de premières, non plus traductions strictes, mais déjà des adaptations des évangiles. Puis, ce sera le tournant de la langue profane des poètes sur le modèle de la littérature courtoise et des chansons de geste. Nous aurons pour la première Walter von der Vogelweide et pour les seconds Hartmann von Aue avec Erec et Yvain, Wolfram von Eschenbach et son Parzival, Gottfried von Strassburg et son Tristan, et l’anonyme Chanson des Niebelungs. Dans le domaine de la prose, Karl Heinz Göttert ajoute celle des prédicateurs, et surtout ce qu’il appelle la mystique féminine. C’est par ce biais que les femmes qui n’avaient accès ni à l’école latine ni au clergé s’exprimeront. On peut citer ici Mechthild von Magdebourg qui « apporte à la langue allemande le vocabulaire du sentiment religieux ». Au Moyen-Âge, la littérature est encore largement orale et sans le collectage du Codex Manesse, il n’en resterait aujourd’hui plus grand chose. Nous sommes au 14ème siècle, celui de l’invention des lunettes de lecture. Puis vint celle de l’imprimerie au milieu du 15ème .
« Avec l’impression de livres, les livres pour la première fois apparaissent sous une forme identique, ce qui modifiera pour toujours la vérité de l’écrit ». (Karl-Heinz Göttert : oc)
A noter que les premiers imprimés de Gutenberg, avant la Bible, concernaient les indulgences. La première bible dite Bible à 42 lignes connaît une diffusion très restreinte : 150 exemplaires papier. Du temps de Luther, elle atteindra 3000, dans le meilleur des cas même 5000 exemplaires.
« Les quantités nouvelles posaient un problème que l’on avait omis et que l’on pouvait omettre au vu de la faible portée des manuscrits, à savoir le caractère inachevé de la langue allemande, son absence d’unité ». (Karl-Heinz Göttert : oc)
Pendant tout le Moyen Age, l’allemand n’existait que dans ses variantes dialectales, parlées de toute façon mais aussi écrites. Je passe sur la question des voyelles longues ou brèves, les diphtongues. Et de leur unification au bout d’un moment. L’important à retenir ici est la persistance de parlers régionaux mais aussi le fait qu’un certain processus d’unification était déjà amorcé. La langue qu’emploiera Martin Luther pour la traduction du Nouveau Testament, en 1522, à partir de l’édition grecque (et latine) établie par Erasme, sera non pas celle qu’il entendra dans son entourage mais celle de la chancellerie du Prince électeur de Saxe, Frédéric le Sage. Ce dernier devait devenir empereur avant de renoncer au profit de Charles Quint. La Saxe était à l’époque l’une des régions les plus avancées de l’Empire grâce à l’industrie minière et dans une position centrale entre le nord et le sud. En d’autres termes, Luther a utilisé la langue d’un territoire en devenir et central.
« Les Allemands ne manquaient pas de bibles en langue vernaculaire : entre 1466 et 1518, outre les éditions partielles, quatorze impression de l’écriture sainte avaient déjà paru en hochdeutsch (le haut-allemand, parlé surtout en Allemagne du Sud) et quatre en niederdeutsch (bas-allemand, dialecte propre à Allemagne du Nord. Cependant, ces traductions assez peu répandues souffraient de plusieurs défauts : fondées sur le texte latin de la Vulgate, elles le restituaient souvent de manière trop littérale, proposant à leur lecteurs un style lourd difficilement compréhensible. Dans la veine des humanistes, Luther décida de revenir aux sources de la Bible, l’hébreu et le grec, mais il s’attacha aussi à rendre la Bible dans un allemand accessible à ses contemporains ». (Matthieu Arnold : Luther. Fayard p. 259).

Vers un dialecte protestant

Pour traduire, explique Karl-Heinz Göttert, Luther a le plus souvent opté pour la variante moyenne-allemande.
« La traduction de la Bible par Luther en 1522 constitue un jalon dans le processus d’unification de la langue. Dans le passé, on fêtait Luther comme créateur de l’allemand standard en nouvel haut-allemand, aujourd’hui nous savons qu’il suivait le courant. De ce point de vue c’est moins Luther que la Bible avec son incroyable diffusion qui a donné à l’unification de la langue une forte impulsion. »
Sans compter les copies pirates, il y aura, du vivant du réformateur, 430 éditions complètes ou partielles, estimées à un demi million d’exemplaires. La célébrité qu’il avait acquise à la Diète de Worms a contribué à la diffusion. Luther opère un changement de perspective. Il ne s’agissait plus de s’orienter en fonction de la fidélité à l’original mais de traduire en s’attachant à la compréhension du destinataire. Il ne s’agissait pas seulement d’une question linguistique car la traduction n’était pas neutre. Il s’opérait en même temps une réforme de la religion, ce qui fera dire à l’un des frères Grimm, Jacob Grimm, que la langue allemande était un dialecte protestant. C’est notamment dans la Bible que les futurs grammairiens puiseront leurs exemples pour codifier la langue. Mais ce sera encore un processus long. La Grammatica Germaniae lingae de Johannes Clajus date de 1578. Il est vrai que, comme le note Sylvain Auroux, « la grammaire vient en dernier ».  Il faudra attendre encore un bon siècle pour voir le nombre de livres imprimés en allemand dépasser celui des livres écrits en latin.

Sola fide (la foi seule)

C’est sur la double implication, à la fois linguistique et théologique, de sa traduction que Luther a été amené à s’expliquer. Il pose lui-même le problème dans sa Missive sur la traduction :
« pour quelle raison, au chapitre III de l’Epître aux Romains, j’ai traduit les paroles de saint Paul arbitramur hominem justificari ex fide absque operibus, de la façon suivante: Nous estimons que l’homme est justifie sans les œuvres de la loi, seulement par la foi. En outre, vous remarquez que les papistes ont été outrecuidants à l’excès, parce que le mot sola (seule, seulement) ne se trouve pas dans le texte de Paul et que cet ajout par moi fait à la Parole de Dieu ne serait selon eux point tolérable, etc. »
Dans la nouvelle traduction de la Bible en français (Fayard), le passage dont il est question s’exprime ainsi :
« Parce que nous estimons que la foi justifie l’homme sans les actes dictés par la loi »
La modification apportée par Luther est d’importance. Le fait que seule la foi [sauve] sans les œuvres est en effet l’une des maximes de la nouvelle religion au nombre de cinq, qui sont autant de délégitimation de l’Église de Rome : sola fide, sola scriptura (l’écriture seule), sola gratia (la grâce seule), solus Christus (Le Christ seul) Soli Deo gloria (pour la gloire de Dieu seulement). Je note au passage que cette opposition de la foi contre la loi fait renvoi à une bifurcation biographique :  la décision prise par Luther d’abandonner les études juridiques pour entrer au couvent.
Après avoir assumé sa vantardise, affirmé qu’il s’agissait de sa traduction et qu’il faisait ce qu’il voulait, et que les papistes, s’ils n’étaient pas contents, n’avaient qu’à s’y mettre, il explique :
« Donc, en Romains, III, je savais pertinemment que le mot solum ne figure pas dans le texte latin et grec, et les papistes n’avaient pas besoin de me l’enseigner. Il est exact que les quatre lettres sola n’y figurent pas – des lettres que les têtes d’ânes contemplent comme les vaches un nouveau portail, sans se rendre compte cependant que ces lettres correspondent à l’intention même du texte, et que, quand on veut le traduire en allemand de façon claire et intelligible, on ne peut pas s’en passer, En effet, j’ai voulu parler allemand et non latin ou grec, car j’avais décidé d’utiliser l’allemand dans ma traduction, Or, il est dans la nature de notre langue allemande, quand elle parle de deux choses dont la première est affirmée et la seconde niée, d’utiliser le mot solum (allein, seulement) outre la négation ne… pas ou pas de. Par exemple, quand on dit : le paysan apporte seulement du grain et pas d’argent ; Non, en vérité, je n’ai actuellement pas d’argent, mais seulement du grain ; J’ai seulement mangé et pas encore bu ; As-tu seulement écrit et pas relu ? Et ainsi de suite, dans d’innombrables tournures d’usage courant.
Bien que les langues, latine ou grecque, ne le fassent point, la langue allemande procède ainsi dans toutes ces expressions : cela est dans sa nature [?] d’ajouter le mot seulement pour renforcer et préciser les mots ne… pas ou pas de. En effet, bien que je puisse également dire : le paysan apporte du grain et pas d’argent, les mots et pas d’argent n’ont pas un sens aussi fort et précis que quand je dis : le paysan apporte seulement du grain et pas d’argent », et ici, le mot seulement renforce à ce point les mots pas de qu’il en fait une expression allemande forte et claire. En effet, il ne faut pas demander à 1a lettre de la langue latine comment on doit parler allemand, comme le font ces ânes, Au contraire, il faut le demander à la mère en son foyer, aux enfants dans la rue, à l’homme du commun sur la place du marché, et regarder ceux-ci à la gueule pour voir comment ils parlent et traduire en conséquence – ainsi, ils comprennent et s’aperçoivent qu’on leur parle allemand.»
(Martin Luther Missive sur la traduction et l’intercession des saints (1530) Trad Hubert Guicharousse in Œuvres II Gallimard Pléiade p. 445)
Mais la traduction pour faciliter la compréhension du destinataire n’est qu’un aspect de la question. L’autre est théologique : il faut répondre à la crise de la foi et retrouver la confiance dans le salut. Il cherche dans l’explication linguistique une façon d’y répondre. Il lie d’ailleurs lui-même les deux dimensions à la fin de son texte. Ce n’est pas seulement une question de traduction, ses adversaires, ceux qu’il appelle les papistes, l’ont très bien compris et lui aussi :
« Mais assez parlé de la traduction et des caractéristiques propres aux langues. En effet, je ne me suis pas seulement fié ni plié à ces caractéristiques des langues pour ajouter solum (seulement) en Romains, III mais au contraire, le texte et la pensée de saint Paul le requièrent et l’exigent de façon impérieuse, car l’apôtre traite en cet endroit du point capital de la doctrine chrétienne, à savoir celui qui enseigne que nous sommes justifiés par la foi en Christ, sans aucune œuvre de la Loi. […]
Donc, puisque, fondamentalement, le sujet exige qu’on dise que la foi seule justifie, ainsi que les caractéristiques de notre langue allemande, qui enseignent également qu’il faut s’exprimer ainsi, que j’ai en outre l’exemple des saints Pères de l’Église, que cela est dicté par les périls qu’encourent les gens, qui ne doivent pas être attachés aux œuvres et manquer de foi au point d’en oublier le Christ – particulièrement à notre époque où ils sont accoutumés depuis si longtemps aux œuvres qu’il faut les en arracher avec force -, il n’est pas seulement légitime, mais aussi hautement nécessaire de dire de la façon la plus claire et évidente que seule la foi, sans les œuvres, justifie : je regrette de ne pas avoir ajouté aucune et d’aucun, donc de ne pas avoir traduit sans aucune œuvre d’aucune loi, de sorte que cela soit pleinement et franchement exprimé. C’est pourquoi ma traduction du Nouveau Testament restera ainsi, quand bien même tous les ânes papistes deviendraient fous furieux ; ils ne me feront pas ôter ce mot. » (Martin Luther oc p 453)
Non seulement la Bible le dit – du moins est-ce sa lecture – mais la langue allemande le confirme. Les œuvres dont il est question sont celles de la piété. On lui reprochera même de négliger celles de la charité. Luther avait eu, moine, une pratique obsessionnelle des exercices de piété avec le sentiment qu’ils ne faisaient que l »éloigner de la foi. Il faut entendre : celle dans le Christ. On voit que je m’efforce de comprendre ce qui est pour moi bien lointain pas seulement dans le temps.
Le Newes Testament Deutzsch, selon l’orthographe employée à l’époque, paraîtra en 1522. La Bible en entier attendra 1534. Les révisions successives et la traduction de l’Ancien Testament seront une œuvre collective signée D. Mart.Luth. L’édition non reliée de la Bible complète coûtait le salaire d’un compagnon maçon, en Allemagne centrale, précise l’historien  Heinz Schilling. (Luther Biographie Salvator)

Beruf

Certains choix de traduction effectués par les réformateurs ont eu des conséquences idéologiques précises, comme l’a montré Max Weber, à partir d’un exemple, celui du mot Beruf. Pour traduire dans la Sagesse de Jésus Ben Sira ce qu’en termes contemporains on rend par vieillis sur ton ouvrage, Luther a substitué au mot tâche, corvée, ouvrage, le mot Beruf mot à connotation religieuse provenant de Berufung au sens d’appel intérieur, de vocation. Max Weber a détaillé cette question dans son livre L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme dans lequel il écrit :
« Le mot [Beruf, au sens de position dans la vie, de domaine délimité de travail (Lebensstellung)], dans son acception actuelle, est issu des traductions de la Bible où il correspond à l’esprit du traducteur et non à celui de l’original. Dans la traduction luthérienne de  la Bible, il semble qu’il  soit pour la première fois employé  tout à fait dans notre acception actuelle dans un passage de Siracide (XI, 20 et 21). Il a pris ensuite sa signification actuelle dans la langue profane de tous les peuples protestants, alors qu’auparavant on ne pouvait trouver la moindre ébauche dans ce sens dans aucune littérature profane d’aucun de ces peuples (…). Une chose était au premier chef absolument nouvelle : c’était le fait d’estimer l’accomplissement du devoir à l’intérieur des professions séculières comme le contenu le plus élevé que pût revêtir dans l’absolu l’activité morale de l’individu. C’est là ce qui eut pour conséquence inévitable l’idée que le travail quotidien dans le monde revêtait une signification religieuse, et qui produisit  la notion de profession-vocation. [pour la première fois en ce sens-là]. Dans la notion de profession-vocation s’exprime donc le dogme central de toutes les dénominations protestantes, lequel réprouve la distinction qu’introduisent les catholiques dans les commandements moraux chrétiens entre praecepta et consilia et lequel reconnaît comme seul moyen de mener une vie agréable à Dieu, non pas de renchérir sur la moralité intramondaine par le moyen de l’ascèse monastique mais exclusivement d’accomplir les devoirs intramondains, tels qu’ils découlent de la position de chaque individu dans la vie ; position qui,  de ce fait, devient sa profession-vocation [Beruf] »  (Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme Traduction Jean Pierre  Grossein. Tel Gallimard pp 66-72)
Le sociologue allemand fait par ailleurs le lien entre cette traduction et celle évoquée précédemment concernant la sola fide :
« Mais quand il [Luther] tire plus clairement les conséquences de l’idée de la sola fide <par la foi seule>, quand il accentue de ce fait avec une acuité croissante son opposition aux conseils évangéliques catholiques du monachisme, dictés par le diable, la signification de la profession-vocation prend plus d’importance. Désormais la conduite de vie monacale n’est pas seulement, à l’évidence, dépourvue de toute valeur quant à la justification devant Dieu ; elle apparaît aussi à ses yeux comme le produit d’un manque de charité qui se dérobe égoïstement aux devoirs du monde. Par contraste, le travail dans une profession séculière paraît être l’expression extérieure de l’amour du prochain ; c’est toutefois sur un mode totalement étranger au monde, et dans une opposition presque grotesque, aux propositions d’Adam Smith, que Luther renvoie en particulier, pour fonder son point de vue, au fait que la division du travail force chaque individu à travailler pour d’autres. Mais cette justification, pour l’essentiel scolastique comme on le voit, disparaît bientôt à son tour, et Luther ne fait plus que renvoyer, en y insistant de plus en plus, au fait que l’accomplissement des devoirs intramondains est en toute circonstance la seule voie par où plaire à dieu, que c’est là, et là seulement, la volonté de Dieu, et que, pour cette raison, chaque profession licite a tout simplement la même valeur devant Dieu.  (Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme Traduction Jean Pierre  Grossein. Tel Gallimard pp 73-74)

La révolution technologique de la grammatisation

Document extrait de « Wir sind allzu lange deutsche Bestien gewesen » in Volksbildung bei Luther und Melanchthon ; eine Textsammlung / Stiftung Luthergedenkstätten in Sachsen-Anhalt. Hrsg. und kommentiert von Volkmar Joestel und Friedrich Schorlemmer

Le document ci-dessus reproduit la lettre manuscrite écrite, le 14 août 1558, par Philipp Melenchthon, compagnon de Luther à Wittenberg, qualifié de précepteur de la nation allemande. Elle recommande au maire de Herzberg d’engager comme enseignant Johannes Clajus, qui n’est autre que le rédacteur de la première grammaire allemande, la Grammatica Germanicae Linguae qui date de 1578. Grammatica germanicæ linguæ. Iohannis Claij Hirtzbergensis : ex bibliis Lutheri germanicis et aliis eius libris collecta. Le titre de l’ouvrage en latin précise que cette grammaire repose sur des exemples tirés entre autre de la Bible de Luther. Le lien entre la Réforme et la grammaire ne saurait être plus explicite. Mais cela ne se fera pas d’un coup.
« Clajus apporte une des premières réponses (dans l’aire germanique) au problème que le passage du latin au vernaculaire posait en termes nouveaux, à savoir celui du degré d’universalité des catégories du latin. Si, par delà le schéma de présentation et le métalangage, Clajus conserve autant que faire se peut les catégories de la grammaire (gréco)latine, il ne peut méconnaître que certaines distinctions du latin lui sont propres (ex. les genera verbi, différents en latin et en allemand). Il observe que l’universel se situe au niveau de la signification, et note qu’une même signification peut être exprimée différemment selon les langues, sans toutefois exploiter totalement cette dernière réflexion (ex. le système des cas, donné comme identique en latin et en allemand, et ce en dépit des paradigmes respectifs) ». (Claire Lecointre : Clajus, Johannes)
Le travail considérable de traduction de la Bible s’est fait sans qu’existât encore une grammaire de la langue allemande, à partir du latin et du grec (puis de l’hébreu) et en s’en éloignant. Luther fait preuve d’une conscience de la langue à travers sa pratique de celle-ci. Sylvain Auroux appelle cette conscience (Sprachbewusstsein) un savoir épilinguistique. En même temps, sa façon de discuter la bonne traduction, de comprendre un texte, est déjà une étape de la grammaire, une première forme d’analyse grammaticale, un pas vers la grammatisation. Celle-ci consiste pour Auroux à se doter d’un outillage métalinguistique. Cela se produit avec l’apparition de grammaires et des dictionnaires. Il faudra encore quelques dizaines d’années. Pour le philosophe linguiste, la grammatisation est une révolution technologique :
«  la Renaissance européenne est le point d’inflexion d’un processus qui conduit à produire des dictionnaires et des grammaires de toutes les langues du monde (et pas seulement des vernaculaires européens) sur la base de la tradition gréco-latine. Ce processus de grammatisation a profondément changé l’écologie de la communication humaine et a donné à l’Occident des moyens de connaissance et de domination sur les autres cultures de la planète. Il s’agit proprement d’une révolution technologique dont je n’hésite pas à considérer qu’elle est aussi importante pour l’histoire de l’humanité que la révolution agraire du néolithique ou la révolution industrielle du XIXe siècle ». (Sylvain Auroux : La révolution technologique de la grammatisation Editions Margada Philosophie et langage Liège 1995)
La connaissance métalinguistique (= sciences du langage) suppose l’ élaboration d’outils de connaissance. La rupture n’intervient que « lorsque les grammairiens postulent des éléments non manifestes pour expliquer les phénomènes observables ou dans le domaine du comparatisme, au XIXe siècle, avec les lois phonétiques et les reconstructions ».
« La grammaire n’est donc pas une simple description du langage naturel. Il faut la concevoir aussi comme un outil linguistique : de même qu’un marteau prolonge le geste de la main et le transforme, une grammaire prolonge la parole naturelle, et donne accès à un corps de règles et de formes qui ne figurent souvent pas ensemble dans la compétence d’un même locuteur. Cela est encore plus vrai des dictionnaires : quelle que soit ma compétence linguistique, je ne maîtrise certainement pas la quantité des mots qui figurent dans les grands dictionnaires monolingues qui seront produits à partir de la fin de la Renaissance (le contraire rendrait au reste ces dictionnaires inutiles à toute autre fin que l’apprentissage des langues étrangères). Cela signifie que l’apparition des outils linguistiques ne laisse pas intactes les pratiques linguistiques humaines. Avec la grammatisation – donc l’écriture, puis l’imprimerie – et, en grande partie, grâce à elle, sont constitués des espace/temps de communication dont les dimensions et l’homogénéité sont sans commune mesure avec ce qui peut exister dans une société orale, c’est-à-dire sans grammaire. » (Sylvain Auroux : oc)
Il existe divers degré de maîtrises du langage et partant différents degrés de compétences techniques. Il appelle techniques les
« pratiques codifiées permettant d’obtenir le plus souvent (existence d’un simple savoir-faire, ce que dans d’autres domaines on appelle un tour de main) ou à tout coup (existence de règles mécaniques), un résultat voulu. Ces techniques constituent les arts du langage. Elles donnent également lieu à la reconnaissance de compétences spécifiques, susceptibles de recevoir un statut professionnel dans une société donnée (conteurs, truchements ou interprètes, poètes, rhéteurs, scribes, etc.), ce que l’on peut appeler les métiers du langage ». (Sylvain Auroux : oc)
A côté de la grammatisation et la standardisation des vernaculaires européens, s’ajoute lors de l’exploration du globe, la colonisation et l’exploitation de vastes territoires, un « long processus de description, sur la base de la technologie grammaticale occidentale, de la plupart des langues du monde » :
« Cette entreprise ramifiée de savoir multilingue – dans le contexte de laquelle naîtront aussi bien la grammaire générale que la grammaire comparée – est aussi unique dans l’histoire de l’humanité que la physique mathématique galiléo-cartésienne, à laquelle elle est sans conteste homogène, ne serait-ce que par l’idée de déterminer des régularités qui seraient, non pas des prescriptions de l’usage culturel des langues, mais des nécessités inhérentes à leur nature ou des «lois» de leur développement historique ».(Sylvain Auroux : oc)
Nous avons vu dans nos exemples, avec Ulrich von Hutten et Thomas Müntzer ainsi qu’avec Luther que coexistaient un latin de plus en plus abstrait donnant un caractère ésotérique à la messe et une langue vernaculaire, en l’occurrence l’allemand, et que la pression vers la scripturisation de cette dernière allait s’accentuant tant pour des raisons politiques que religieuses. Religieuses :
«  … c’est la place de l’Eglise dans la société qui assure l’ancrage du latin. Ce dernier sera en péril dès que prendront de l’importance des activités sociales, qui, tout en réclamant écriture et techniques intellectuelles, formeront une sphère étrangère à l’Église (le commerce) ou lorsque la Réforme en proclamant la nécessité pour tous de l’accès direct aux textes sacrés (cf. la théorie luthérienne du sacerdoce universel) minimisera le rôle des intermédiaires lettrés ». (Sylvain Auroux : oc)
Rappelons-nous aussi la manière dont Thomas Müntzer expliquait l’usage, dans la messe, du latin, face à une langue vernaculaire qu’il a qualifié de désordonnée :
« il est facile de comprendre qu’ils chantaient en latin, parce que la langue allemande était encore tout à fait désordonnée, et aussi afin de maintenir les gens dans l’unité de la foi car au même moment toute l’Asie se séparait de la chrétienté. Or, il serait étonnant que cette situation des débuts ne soit pas améliorée. Car toute l’activité raisonnable des hommes tend vers l’amélioration progressive.[…] » Thomas Müntzer : La messe évangélique en allemand in Thomas Münzer, écrits théologiques et politiques. Traductions introduction et notes par Joel Lefebvre. Presses Universitaires de Lyon)
Dans le domaine de la littérature, le passage à l’allemand écrit était en gestation notamment dans l’espace rhénan. Il nécessitait encore des justifications. En 1494, Sébastien Brant, dans son Narrenschiff (Nef des fous), justifie l’emploi de la langue allemande par le fait que c’est celle des fous. Le narrateur se déclare d’entrée heureux que l’allemand soit de rigueur car il ne sait pas bien du tout le latin. En fait, Brant placera l’allemand au même plan de dignité que le latin. Son contemporain et ami Jean Geiler de Kaysersberg prononçait ses sermons en allemand dans la cathédrale de Strasbourg. En 1515, Thomas Murner qui sera un adversaire catholique de Luther avait traduit en allemand l’Eneïde de Virgile ainsi que d’autres textes. « Il n’y a dans ce mien méchant écrit ni art ni subtilité, car je suis malheureusement ignorant de la langue latine, et ne suis qu’un pauvre laïc» est-il écrit dans la préface à l’édition allemande de Till Eulenspiegel (1519). En 1587, encore, l’auteur – anonyme –  de l’ Historia von D. Johann Fausten dem weitbeschreyten Zauberer vnnd Schwartzkünstler justifie l’usage de la langue allemande par la nécessité de bien faire comprendre à tous ce dont est capable le diable. Il précise au lecteur chrétien qu’il disposera bientôt d’une édition latine. Je profite de ce rappel pour réparer un oubli qui m’a été signalé par un lecteur : j’aurais en effet pu citer Paracelse (1493-1541), notamment, qui à la même époque écrivait en langue alémanique. Ulrich von Hutten a donné un caractère politique aux motivations de passer à la langue allemande écrite
 « En latin, j’écrivais avant, ce [que j’écrivais] n’était pas connu de tous, maintenant j’écris à la patrie de la nation allemande dans sa langue pour suivre les choses »
Il y a une imbrication entre le mouvement de grammatisation, la constitution des nations et la Réforme à laquelle il faut bien sûr associer la Contre-Réforme :
« La constitution des nations européennes correspond à une profonde transformation des rapports sociaux (naissance du capital marchand, urbanisation, mobilité sociale, extension des relations commerciales, etc.), y compris dans leurs aspects religieux (Réforme (1517) et Contre-Réforme). L’expansion des nations entraîne inéluctablement une situation de luttes entre elles, ce qui se traduit immanquablement par une concurrence, renforcée parce qu’institutionnalisée, entre les langues, La vieille correspondance une langue, une nation, en prenant valeur, non plus pour le passé, mais pour le futur, acquiert un nouveau sens : les nations devenues quand elles l’ont pu des États, ceux-ci vont faire de l’apprentissage et de l’usage d’une langue officielle une obligation pour leurs citoyens.
Le mouvement de grammatisation des vernaculaires à la Renaissance ne ressemble pas, dans ses motivations, à celui de l’irlandais ou du provençal. Il ne s’agit plus seulement de fournir un instrument à la poésie, mais de déplacer le milieu linguistique de l’ensemble des activités intellectuelles. Certes la littérature est concernée en premier chef (son apparition plus ou moins précoce semble avoir des conséquences pour celle de la grammatisation, et c’est elle qui guide les discussions théoriques), mais pour comprendre l’ampleur du déplacement, il suffit de remarquer que la parution de traités de logique rédigés dans le vernaculaire accompagne globalement la grammatisation, (…). C’est tout le corpus scolaire du trivium [= les trois enseignements de base : la grammaire, la dialectique et la rhétorique] qui est transféré au vernaculaire. Le latin restera pour plusieurs siècles encore une langue privilégiée de la communication scientifique, mais les activités intellectuelles des nouvelles élites, et les activités spirituelles d’une large partie de la population (cf. Luther et la Réforme) vont désormais s’appuyer sur une culture et une pratique codifiée (d’où l’importance de l’enseignement de la rhétorique) du vernaculaire. Cette culture correspond à une véritable politique linguistique. L’absolutisme centralisateur de la monarchie est le moteur de cette politique en France et en Espagne. En l’absence d’État central, elle, est prise en charge, en Italie, par les élites régionales, qui rencontrent des difficultés à résoudre la questione della lingua, et, en Allemagne, par les milieux de la bourgeoise commerçante, ce qui fait que la promotion du hochdeutsch et les discussions des grammairiens sur sa nature, n’entameront jamais l’usage vernaculaire des dialectes régionaux. Lorsque l’on grammatise les vernaculaires européens, il ne s’agit pas simplement de les décrire, mais de leur donner un véritable outillage, semblable à celui dont disposaient pour leur langue les Grecs et les Latins. C’est d’une translatia studiorum qu’il s’agit.
On comprend mal cette entrée en scène des vernaculaires, si on ne la met pas en perspective avec trois éléments fondamentaux : la refonte de la grammaire latine, l’imprimerie et les grandes découvertes. Il y a une intrication chronologique complexe entre tous ces éléments (avec un léger avantage pour la refonte des études latines et l’imprimerie), si bien qu’il est hors de question d’établir une causalité linéaire entre eux ». […](Sylvain Auroux : oc)
Les humanistes en préconisant le retour aux auteurs anciens, au beau contre le latin médiéval technique et dont les structures sont calquées sur les langues vernaculaires ont largement « contribué à donner au latin son véritable statut de langue morte »
Et puis il y a l’imprimerie. Comment cette technique nouvelle intervient-elle ? Certes, son invention est antérieure à la grammatisation des vernaculaires et elle a d’abord contribué à la diffusion des textes latins, Sylvain Auroux pose néanmoins l’hypothèse selon laquelle grammatisation et imprimerie font partie de la même révolution techno-linguistique :
« … l’imprimerie a des conséquences sur la grammatisation. La pratique manuscrite médiévale laisse place (du moins théoriquement, n’oublions pas les ateliers de copistes), pour chaque exemplaire, à la variabilité, notamment orthographique. Avec l’imprimerie, non seulement la multiplication du même est incontournable, mais la normalisation des vernaculaires devient une affaire de standard professionnel. L’orthographe, la ponctuation et la régularisation de la morphologie concernent les imprimeurs typographes (avec ou sans le concours des auteurs et des grammairiens, voire contre eux) d’abord au sein de chaque atelier, puis pour tous ceux qui travaillent sur la même langue. La diffusion du livre imprimé impose, alors, la constitution d’un espace illimité dans lequel chaque idiome, délivré de la variation géographique, est devenu isotope. Une telle isotopie, dans les univers à écriture manuscrite, ne se rencontre que pour une seule langue (le latin ou le sanskrit, par exemple). En dehors des univers culturels disposant de l’imprimerie, on ne rencontre pas de cas où tant de langues aient été normalisées quasi-simultanément, dans un laps de temps aussi court et dans une ère géographique si restreinte.
Il n’est pas non plus impossible de rattacher à l’imprimerie une certaine évolution du fonctionnement cognitif. L’écriture manuscrite, comme la micro-informatique aujourd’hui, tend à ne pas dissocier le processus de production intellectuelle du texte et celui de sa réalisation matérielle. Le mode privilégié d’historicisation du savoir, c’est la permanence du texte à quoi s’ajoutent, par couches successives, gloses et commentaires, l’innovation est noyée dans un processus indéfini d’accrétion. Le savant médiéval est un nain juché sur l’épaule des géants. Il est symptomatique de voir, avec le développement de l’imprimerie, le scoliaste, type du savant antique et médiéval, disparaître progressivement des disciplines scientifiques. Avec l’imprimerie, écrire et publier sont nécessairement des activités différentes. Plus que ne l’avait jamais fait aucun atelier de copiste, l’atelier de l’imprimeur finit par disjoindre la production intellectuelle du texte et sa reproduction matérielle, qui sont, au départ, fortement liées (cf. par exemple, le cas de Alde Manuce). D’un côté, on recomposera indéfiniment le même texte; de l’autre, il faudra fournir aux imprimeurs, qui les achètent, des produits frais. L’innovation théorique devient une valeur, un nouvel équilibre se créé lentement entre les acquis, dont l’institution et la permanence se fragilisent, et les idées neuves qui sont peu à peu surévaluées: le progrès devient une contrainte de la production intellectuelle. » (Sylvain Auroux : oc pages 96-98)
Cette uniformisation et reproduction du même constituent une nouvelle forme d’externalisation, tout comme l’était au départ la naissance de l’écriture elle-même :
« L’émergence de la parole humaine est liée au développement corporel des anthropoïdes. Dans sa pure oralité elle est liée à l’individu ; sa possibilité est enfermée dans les capacités propres de ce dernier, quand bien même celles-ci doivent se développer dans le rapport d’échange symbolique avec les semblables. Avec l’apparition du support transposé de l’écriture, nous assistons à un processus original d’externalisation qui, au reste, n’est pas sans conséquence sur les fonctions corporelles de l’individu lui-même: avant l’écriture la main intervient surtout dans la fabrication, la face surtout dans le langage; après l’écriture l’équilibre se rétablit  (Leroi-Gourhan). C’est ce processus, dans lequel nous voyons la source de la plupart des technologies intellectuelles humaines…. » (Sylvain Auroux : oc)
et qui sera ressenti par Thomas Müntzer, nous l’avons vu, comme un obstacle à l’individuation du rapport de chacun à la spiritualité. Il reprochait à Luther d’avoir transformé la Bible en un système expert :
Pour conclure, donc, ce rapprochement avec notre époque :
« la révolution technologique de la grammatisation doit être conçue comme la constitution d’outils linguistiques externes à l’individu. Or, ce passage de l’interne à l’externe nous est aujourd’hui familier dans le domaine de l’intelligence artificielle : il entre dans la constitution de ce que nous nommons des systèmes-experts.
Un système-expert est une banque de connaissances implémentée dans une machine (un ordinateur) qui permet le traitement automatique des questions qu’on lui pose, par exemple effectuer un diagnostic médical. Pour tirer ses conclusions le système doit disposer d’un certain nombre de règles. Un système expert est conçu comme devant occuper la fonction d’un expert humain : Les ordinateurs doivent être considérés comme des prothèses sociales – destinées à remplacer des personnes humaines au sein des communautés» (H.M. Collins, Experts artificiels. Machines intelligentes et savoir social, t.f., Paris, Le Seuil, 1992, p. 291). Autrement dit, réaliser un système-expert consiste à effectuer le transfert d’un individu à un support externe. Un moment important dans ce transfert consiste dans l’élucidation des connaissances de l’expert humain et leur formalisation. Formaliser les connaissances consiste à les rendre explicites et invariables; on retrouve cette opération à chaque fois qu’il est question de mettre en forme une pratique, qu’il s’agisse de manuels de maçonnerie, de cuisine, de tricot, etc. Toutes choses égales, c’est exactement ce moment que nous retrouvons dans la grammatisation, et, antérieurement, dans la scripturisation. Nous devons toujours garder à l’esprit cette analogie qui est loin d’être triviale. (Sylvain Auroux : oc p. 161-164) »
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