Le poète Claude Vigée, né Claude Strauss à Bischwiller (Bas-Rhin) le 3 janvier 1921 est décédé le 2 octobre 2020 à quelques mois de son centième anniversaire.
Je republie deux textes de lui que j’avais commenté sur le SauteRhin. On pourra s’y reporter. Le premier est un poème : Soufflenheim dans lequel il évoque la Heimat des Hauches, la Heimat du souffle. Dans le second, il parle de son rapport au dialecte alsacien, idiome dans lequel il a également écrit.
Sans lit, sans fond
la rivière du souffle coule
invisible, sous la grange de brique ancienne,
la demeure du temps.
Ceux qui sont nés dans la boue adamique du Ried
sont voués pour toujours au travail double
du potier et du poète :
pétrir la pâte terrestre, modeler la glaise informe,
et puis germer dans la lumière matinale,
inventer les formes justes qui respirent,
réussir l’insufflation soudaine du vide
au cœur de la tourbe charnelle,
dans cette masse de limon lourde et mouillée,
ruisselante d’une opaque noirceur !
Tout lieu natal est travaillé
par la rivière du souffle
débordant sur l’obscur continent souterrain :
la matrice de l’origine
devient le globe
encore lourdement chthonien,
mais déjà rayonnant,
d’un vase.
Il résonne au milieu du feu
qui le peuple et l’enserre :
espace de musique habitable,
île de terre
ferme, où l’esprit-saint s’est pris soudain au piège
entre les parois rondes et sonores
dont la ténèbre a bu les vibrantes couleurs.
Voici notre maison nouvelle
modelée dans la face humaine :
devant un ciel d’oiseaux tissés dans les nuages,
l’haleine d’un visage.
Heimat des Hauches, endlos
sans rives ni frontières
la rivière du souffle coule
taciturne, sous la chape d’argile crue,
la demeure du sang.
Le corps muet me tourne sur sa roue.
J’habite la maison d’un potier du silence.
Claude Vigée : Pâque de la Parole , Flammarion, Paris, 1983
Patois et dialectes
J’ai lu ici avec plaisir ces deux beaux textes de C. Vigée, un poète que j’avais découvert grâce à l’article du Monde lorsqu’il est mort. On entend avec Soufflenheim ( beau néologisme ), où il célèbre le Heimat des Hauches, qu’il est entre deux langues.
Commencée en Alsace, sa vie s’est terminée à Paris, après un passage par New-York puis Tel-Aviv : tout un parcours.
Merci d’avoir choisi ces deux extraits, qui l’éclairent davantage.