« Mutti (maman)» Merkel : élections-régression

J’ai déjà essayé de montrer comment l’ultralibéralisme tue la politique. Les dernières élections législatives allemandes au cours desquelles la chancelière Angela Merkel a été appelée « Mutti », maman, sont le résultat du vote régressif d’une société qui a peur et se réfugie dans les jupes de sa maman. C’est ce qui ressort d’un entretien de l’hebdomadaire die Zeit avec la psychanalyste Thea Bauriedl, professeure de psychologie clinique à l’Université Ludwig-Maximilian de Munich. Elle construit sa lecture autour du thème « vous me connaissez », mots avec lesquels Angela Merkel a conclu son débat télévisé avec Peer Steinbruck, tête de liste du SPD.

Thea Bauriedl :
« Vous me connaissez dit Angela Merkel et cela semble déjà suffire. Beaucoup de gens acquiescent spontanément. Ils se disent : nous savons comment elle est, cette maman, elle est exactement comme nous le souhaitons. Elle saura tout savoir faire et fera tout bien. Tout soupçon, toute crainte est mise de côté. Qui s’aviserait de la critiquer prendrait le risque d’être puni ou rejeté ».

La psychanalyste rappelle que l’enfant dans des situations de peur peut se réfugier au sens propre et figuré dans les jupes de sa mère mais qu’il doit y rester tranquille, ne pas déranger pour ne pas perdre la protection ; c’est une situation d’emprisonnement. Cela se reproduit dans la vie d’adulte y compris en politique.

« Il y a différentes formes de sécurité. On peut se retrouver protégé et soumis dans une prison (psychique) ou bien on peut prendre au sérieux ses propres sentiments et, de manière autonome, veiller à ce que cela se passe bien pour soi dans ses relations personnelles et politiques. La seconde forme de recherche de sécurité peut être assimilée dans le domaine politique avec le besoin d’autodétermination dans la démocratie »

Les Allemands s’inscrivent-ils avec Merkel dans une tradition de l’histoire allemande qui ne veut « surtout pas d’expérience » et dans laquelle la présence d’une aile protectrice défie toute argumentation ?

Thea Bauriedl :
« Je crois que nous retombons loin derrière quelque chose que nous avions déjà. Oser plus de démocratie, nous l’avions au moins déjà en parole. Et maintenant nous faisons un pas en arrière dans une pseudo sécurité par une minoration de la réalité de notre situation et par une soumission de fidèles à la domination de  la bonne mère éternelle que nous pensons connaître parce que c’est elle-même qui le prétend. C’est une sécurité frelatée. On ne peut pas parler de vraie sécurité. Comme si ne pas prendre de risque en ne faisant rien, cela pouvait marcher ! Le plus grand risque qu’on peut prendre est de ne pas être attentif à ce que l’on ressent et de ne pas agir en conséquence »

comme des agneaux qui suivent Merkel

Angela Merkel conduit-elle à une dépolitisation, demande le journal Zeit-online ?

Thea Bauriedl :
« Oui. Nous n’avons plus dans notre pays de débat politique authentique et constructif, peu de lutte pour le meilleur. Nous sommes en majorité comme des agneaux qui suivent Merkel parce que nous craignons qu’elle nous abandonne si nous ne sommes pas sages et ne croyons pas en elle ou si nous devions remarquer combien et comment elle nous manipule avec son vous me connaissez. La raison propre, les propres sentiments ne jouent dans bien des cas plus aucun rôle. Nous Allemands avons déjà une fois fait l’expérience que nous pouvons devenir politiquement aveugles si nous faisons simplement confiance à la devise vous me connaissez ».

« Ce qui se passe actuellement en Allemagne contredit en grande partie le principe fondamental de la démocratie, l’autodétermination responsable de chacun dans la collectivité ; et cela contredit aussi une culture de la discussion permanente et ouverte pour la meilleure voie, la meilleure décision pour tous. Si nous ne prenons pas conscience de cette forme spécifique de perte de pouvoir de la population qui est à l’œuvre depuis quelque temps, nous ne ferons rien pour nous y opposer. Nous continuerons à voter pour une forme de sécurité qui restreint notre autonomie. Et nous répondrons alors : oui nous la connaissons et nous votons pour elle parce que nous ne nous sentons pas capable de trouver nous-mêmes notre chemin à travers des discussions constructives ».

Source de l’article en allemand

L’analyse de Thea Bauriedl évoque un état de misère symbolique dans la société et une demande d’attention et de soin. Mais, sa réflexion le montre bien, « prendre soin » n’est pas infantiliser et maintenir en état de soumission mais émanciper, (se) donner les outils pour penser et être par soi-même, travailler à la construction de sa propre autonomie. Un tel objectif est directement en contradiction avec l’idée merkelienne qu’il n’y aurait pas d’alternative.

Le Spd prendra-t-il la responsabilité d’une grande coalition avec Angela Merkel au risque du tuer toute capacité d’opposition ? Dans ce cas, en effet, les députés des partis restants (Verts et die Linke) ne disposeront pas des ressources parlementaires suffisantes pour faire leur travail d’opposants alors que dans le même temps se crée en Allemagne une dynamique d’extrême droite. L’Alternative pour l’Allemagne, après son score de 4,7 %, sert de point de ralliement aux groupuscules islamophobes au point de gêner ses promoteurs, qui se veulent surtout propres sur eux , en risquant de faire des taches sur leurs costumes trois pièces.

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