
L’affiche du film aux onze Oscars, Ben Hur, film du cinéaste né à Mulhouse en 1902, William Wyler De son vrai nom Willi Weiler. L’omnibus hippomobile à Mulhouse à la fin du 19ème siècle (photo de la Collection Section Histoire Soléa)
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— Il existe un bâtiment assez curieux à Mulhouse, le palais de la Société industrielle. L’immeuble a été construit par une sorte de loge maçonnique pour abriter des salles de réunion, des sièges d’associations. Dès qu’il y avait un problème dans une usine, les ouvriers se réunissaient sur la place, devant ce palais fréquenté par leurs patrons. En règle générale, ça se passait bien, sauf cette fois-là, en 1913. La situation a totalement dégénéré. Je revenais du champ de foire du Nordfeld, et je passais dans le quartier par hasard lorsque la manifestation a envahi tout le secteur après avoir longé le canal. Je ne sais plus trop ce qui avait provoqué la grève, mais les types étaient vraiment remontés. Des costauds sortis des fonderies, des tuileries, des ateliers de chaudronnerie, quelques femmes de chez Dollfus, des ouvriers tonneliers. Les meneurs se sont installés sur une estrade de fortune, des planches posées sur des tonneaux, et ils ont commencé à haranguer la foule. À un moment, les cris de revendication ont été couverts par le martèlement des sabots ferrés sur les pavés. Deux cents soldats du 5° régiment allemand de chasseurs à cheval, venus de la caserne Drouot, ont encerclé le rassemblement. Les pierres ont volé, puis les lames des sabres ont glissé hors des fourreaux… Une femme s’est écroulée à mes pieds, le visage tailladé. Effrayé, j’ai couru pour aller m’abriter sous les arcades de la Société industrielle, protégé par l’escalier de pierre sur lequel les chevaux butaient. Des coups de feu ont éclaté, le visage de l’un des orateurs a explosé comme une de ces vulgaires figures de terre, au stand de tir. Je tremblais de tout mon être, caché derrière un pilier, quand les cavaliers ont mis pied à terre pour mieux ratisser les abords des bâtiments. Ils se dirigeaient droit sur moi avec leurs lames qui captaient l’éclat du soleil. Soudain, j’ai senti qu’une main pesait sur mon épaule. Je me suis retourné, un cri au bord des lèvres pour m’apercevoir que l’un des meneurs venait de me rejoindre. Il m’a dit dans un souffle : « Ne crains rien, petit, c’est après moi qu’ils en ont. » Il s’est dressé d’un coup et s’est mis à courir en longeant la haie de troènes alors qu’un tramway de la ligne Biehler tiré par des chevaux passait sur le boulevard. La mairie avait ressorti ces vieilles voitures du dépôt en raison de la grève des électriciens. Le gars a sauté sur le marchepied, il a bousculé le cocher, s’est saisi des rênes, du long fouet, et a lancé l’équipage. Il a traversé la place de la Bourse, dans un bruit d’enfer, avec les soldats qui récupéraient leurs montures pour se lancer à ses trousses… Sans cette image, je ne sais pas où je serais allé puiser assez d’énergie pour supporter les trois mois qu’a duré le tournage de la course de chars… En plus, et ça peut paraître incroyable, ce type, dans mon souvenir, ressemble trait pour trait à Charlton Heston… Quand je ferme les yeux, c’est ce Mulhousien inconnu que je vois sur la piste du cirque romain, dressé sur la plateforme de son quadrige, seul contre tous…
J’ai fermé les yeux, moi aussi, pour capter les visions de Willy. Le bol de champagne et les onze Martini ne m’ont malheureusement été d’aucun secours. Derrière mes paupières closes, c’était toujours le visage inexpressif d’Heston qui volait la vedette au Ben Hur alsacien en casquette…
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Didier Daenincks : Arrête ton tram , Ben Hur in Le roman noir de l’histoire (Éditions Verdier)
Dans l’histoire d’où provient cet extrait, nous sommes à Hollywood. Le cinéaste William Wyler vient de rafler onze Oscars pour son peplum, et son Ben Hur « en jupe plissée ». Au grand dam de son ami Billy Wilder qui venait de tourner Certains l’aiment chaud avec Tony Curtis et Jack Lemmon. Le film n’avait obtenu aucune récompense. Au cours de leur échange – en allemand, leur langue d’origine, pour l’une autrichienne (Wilder), pour l’autre alsacienne, William Wyler naquit à Mulhouse de mère allemande et de père suisse -, Wilder demande à Wyler :
« Qu’est-ce qu’il peut y avoir de commun entre toi, un américano-alsacien et Ben Hur ? Allez, raconte … Vous avez ramé sur la même galère ? Ne me dis pas que tu étais accoudé au bar quand le Christ lui a offert un verre… »
Wyler lui répond avec son souvenir d’enfance des attelages de chevaux dans les rues de Mulhouse. Puis suit le passage ci-dessus. Il fait référence à des événement qui eurent lieu en juillet 1913, Mulhouse et l’Alsace faisaient alors partie de l’Empire allemand. Les ouvriers embauchés pour la construction de la gare du Nord se sont mis en grève pour des revendications salariales envers leur patron berlinois qui les payait moins que leurs camarades. Le mouvement s’est amplifié atteignant un moment quasi-insurrectionnel. Il sera fait appel à l’armée à cheval et en casques à pointe. La répression fera deux morts. En 1908 avait été mis en circulation, à Mulhouse, un tramway électrique « gleislos / sans rail » que nous avons connu sous le nom de trolleybus. La place de la Bourse est aujourd’hui encore le lieu de rassemblement des manifestations qu’elles soient sociales ou – manque le et – environnementales.
Le texte de Didier Daenincks, Arrête ton tram Ben Hur, était paru la première fois dans un recueil de nouvelles intitulé Rue des degrés (Verdier. 2010). Il est repris ici dans une anthologie qui regroupent 77 nouvelles de « fiction documentée » écrites dans les quarante dernières années et publiées au fil des livres de l’auteur. Elles ont été réunies sous le titre : Le roman noir de l’histoire avec une préface de Patrick Boucheron. Roman noir, cela évoque, bien sûr, la série noire des polars mais aussi la face sombre et souvent cachée de l’histoire. Du polar, Daenincks en a la conception de celui qui veut tirer « à mots réels ».
Rangées selon l’ordre chronologique de l’action, de 1855 à 2030, les nouvelles sont classées en onze chapitres qui rythment le recueil en épousant les grands mouvements du temps, celui de Chronos. Les personnages qui peuplent cette histoire ne sont pas ceux dont les manuels ont retenu le nom, ceux dont les statues attirent les pigeons sur nos places. On y trouve le manifestant mulhousien de 1913, le déserteur de 1917, le sportif de 1936, un contrebandier espagnol de 1938, un boxeur juif de 1941, et encore pêle-mêle : Gitan belge en exode, môme analphabète indigène, Kanak rejeté, prostituée aveuglée, sidérurgiste bafoué, prolotte [féminin de prolo] amnésique, vendeuse de roses meurtrière, réfugié calaisien. On pourrait les dédier à ceux qui ne sont rien aux yeux de certains – il y a fort heureusement des exceptions – historiens. Au mieux figurent-ils parfois en note de bas de page ou les pressent-on exister entre les lignes. Ce sont celles-ci, ces singularités, que Didier Daenincks met en relief.
Roman noir de l’histoire, c’est aussi ce qui donne des nouvelles d’un passé enfoui sous nos pieds et qui se révèle parfois de manière inattendue. Il faut alors savoir le saisir au bond comme le petit dieu cher à Alexander Kluge : Kairos qu’il faut réussir à attraper par les cheveux dont il n’a qu’une touffe sinon il disparaît dans l’oubli. Kairos est le lutin impertinent de l’occasion opportune qui rompt avec le temps du dieu Chronos. Didier Daenincks dispose manifestement de cette capacité. Son imaginaire et son talent d’écrivain font le reste. Qui est ici l’essentiel. Après tout, le temps de Chronos comme celui de Kairos sont aussi des constructions fictionnelles.
Pour en revenir au texte choisi, en le relisant, on s’aperçoit en fait qu’il y a des histoires dans l’histoire mariant la sociale avec celle du cinéma. Sans oublier la langue. Arrête ton tram, Ben Hur est le titre de la nouvelle par analogie avec l’expression Arrête ton char, Ben Hur. L’expression d’origine est arrête ton charre qui signifie : arrête de nous la raconter, arrête de charrier. La charre est une exagération. Le rajout ultérieur de Ben Hur signale le succès du film de William Wyler. (Source). Arrête ton char, Ben Hur est aussi le titre d’un roman de Ange Bastiani paru dans la Série noire
J’ai, pour ma part, souvent été confronté à la face cachée de l’histoire. L’occultation est particulièrement dense en Alsace. Je l’ai été également concernant l’histoire industrielle de Mulhouse. Jusque tout récemment encore. J’ai assisté, il y a peu, à la conférence d’un historien sur la fortune des industriels mulhousiens au XIXe siècle pour m’entendre expliquer en gros que leur richesse, ils se la sont faite par et entre eux-mêmes. Comme je lui faisais observer que l’exploitation des ouvriers y était peut-être pour quelque chose dans l’accumulation de richesses de même que la manière dont ils ont occupé tout le champ politique, il a bien dû le reconnaître. Mais la question n’est pas intégrée dans son travail. Et c’est là le vrai problème. Il est vrai que le manque de documents, de témoignages écrits, hormis les rapports de police à l’occasion d’arrestations dans le cadre de mouvements sociaux, est une réelle difficulté alors même que le patronat a pris soin de coloniser nos mémoires. Mais quand on cherche, on trouve tout de même des choses. Le reste est une affaire de démarche et sans doute aussi d’un peu d’imagination. La plupart des historiens sont pas ailleurs en froid avec la littérature qu’ils n’intègrent quasiment jamais dans leurs travaux. Que le recueil de nouvelles de Daeninckx soit préfacé par l’un de nos plus grands historiens n’en est que plus remarquable.
« Alliés de guerre » en mode préservatif
Après consultation du comité scientifique du SauteRhin, c’est à dire de moi-même (le virologue est excusé), nous continuons notre
télétravail. Avec ce tract de crise épidémiologique.Préservatif = Qui a la vertu ou la faculté de préserver en parlant de remède.
« Portrait eines cholera präservativ Mannes aus Saphirs Zeitschrift: der deutsche Horizont » (koloriert) Staatsarchiv Freiburg A 66/1. Portrait d’un homme qui se préserve du choléra. (Source)
Vers 1826, le choléra fait son apparition en Inde, gagne Moscou et la Russie en 1830. Il s’agissait de la deuxième pandémie de choléra. A partir de 1830, ce qui était l’une des maladies infectieuses les plus craintes atteignait l’Europe centrale. En fonction des connaissances en vigueur à l’époque, on considérait qu’elle était transmise par contact physique avec un malade et par ses exhalaisons. Par de nombreuses mesures – désinfection au chlore, installation de quartiers de quarantaines – les autorités sanitaires du Grand Duché de Bade tentèrent de contrôler l’épidémie. Le plus souvent en vain. Le choléra a provoqué peur et effroi dans la population. Ces dernières ont, comme en tous temps et jusqu’à aujourd’hui, été exploitées par des charlatans préconisant non sans succès de nombreux remèdes plus ou moins insolites. Devant des recommandations contradictoires, et à défaut de savoir les discerner, il y a deux options : soit les ignorer toutes, soit les adopter toutes. C’est cette dernière possibilité qui a inspiré l’auteur autrichien Moritz Gottlieb Saphir (1795-1858) pour son journal satirique paraissant à Munich „der deutsche Horizont“. Pour mieux comprendre la caricature, l’auteur explique lui-même son dessin en ces termes :
« Un homme, une femme munis de tous les préservatifs doit se déplacer de la façon suivante. Autour du corps d’abord une peau de caoutchouc (Gummi elasticum), par dessus un gros emplâtre entouré des six aunes de flanelle. Dans le creux de l’estomac une assiette de cuivre. Sur la poitrine un gros sac de sable chaud, autour du cou un double bandage avec des baies de genièvre et des grains de poivre, dans les oreilles du coton imbibé de camphre, sous le nez, il a un flacon de vinaigre des quatre voleurs [en français dans le texte. En allemand Pestessig = vinaigre de la peste] et dans la bouche un cigare. […] Derrière lui attaché par une ceinture, il tire un chariot sur lequel se trouve une baignoire, quinze aunes de flanelle, un appareil pour bain de vapeur, une machine à fumage, huit brosses, dix-huit tuiles, deux fourrures, une chaise d’aisance et un pot de chambre. Sur le visage il lui faut encore un masque en pâte de menthe verte.
La description se termine par ces mots : Ainsi équipé et muni, on est sûr d’être le premier à attraper le choléra. »
Citation extraite de Claudia Eberhard-Metzger, Renate Ries : Verkannt und heimtückisch. Die ungebrochene Macht der Seuchen. Birkhäuser Verlag
La variante féminine se présente ainsi :
[Post Scriptum 2 : Jean-Paul Sorg me signale que le grand philosophe Georg Wilhelm Friedrich Hegel est mort de cette épidémie de choléra en 1831. C’est du moins l’une des hypothèses de son décès. Il y a une autre selon laquelle il aurait succombé à sa maladie de l’estomac. Ce type d’incertitude est présent aujourd’hui. J-P Sorg m’a envoyé aussi l’extrait d’un livre publié chez Rowohlt qui contient une caricature proche de celle ci-dessus et que voici.
Ce qui frappe bien sûr dans ces caricatures est qu’elles sont celles de préservatifs ambulants, il est question de corps en « déplacement » alors que nous vivons aujourd’hui une situation inverse de confinement. Drôle de mot d’ailleurs mais celui de guerre est pire encore.
CONFINEMENT, subst. Masc.
[Correspond à confiner2]
A.− Vieilli. Isolement (d’un prisonnier) :
1. Les quatre familles intéressées écrivirent à la cour pour solliciter la déposition, le confinement dans une forteresse, de l’homme convaincu de tant de désordres. Gobineau, Les Pléiades,1874, p. 219
B.− Fait d’être retiré; action d’enfermer, fait d’être enfermé (dans des limites étroites). Ma pensée reste captive entre Claire et moi, (…) et je vais dans le jardin pour échapper à ce confinement de la tendresse (Chardonne, Claire,1931, p. 203):
2. Jean-Jacques et Thérèse [logeaient] au quatrième. Il se trouva heureux. Il avait le goût du confinement. Il y avait en lui aussi, entre tant de personnages, un petit bourgeois rêveur et gourmand qui aimait ses pantoufles et les petits plats. Guéhenno, Jean-Jacques,En marge des « Confessions », 1948, p. 294.
Spéc. ,,Interdiction faite à un malade de quitter la chambre« (Méd. Biol. t. 1 1970). Le confinement à la chambre (A. Arnoux, Zulma l’infidèle,1960, p. 11).
C.− BIOL. Maintien d’un être vivant (animal ou plante) dans un milieu de volume restreint et clos.
Confiner2, c’est à dire la seconde acception du verbe confiner qui signifie aussi être très proche de. Confinement évoque la cellule du même nom dans les prisons ou l’enceinte dans les centrales nucléaires. Et l’interdiction faite à un malade de quitter la chambre. On confine donc les prisonniers récalcitrants, les produits radioactifs, les malades contagieux. Aujourd’hui, le confinement concerne des personnes non malades, en bonne santé mais potentiellement et a-symptomatiquement contaminantes. Ce renversement est inédit. On aurait sans doute mieux fait de confiner les personnes et les foyers de contamination infectés mais pour cela il eut fallu les tester, ce que l’on n’a pas fait ou rapidement cessé de faire en France à la grande différence de l’Allemagne. Mais ceci pourrait changer aussi. Il n’y a confinement que parce qu’il n’y a pas assez de tests. L’Allemagne, en l’occurrence le Land de Baden-Württemberg, avait rapidement entrepris d’« isoler » l’Alsace de son côté du Rhin, la considérant comme zone à risques en raison principalement de l’absence de tests (Informations disponibles sur le site de l’Institut Robert Koch, le centre de veille épidémiologique fédéral).
[Post Scriptum : le gouvernement du Bade-Wurtemberg a envoyé un courrier à tous les hôpitaux du Land en leur demandant de mettre à disposition des malades alsaciens les plus graves, des lits équipés d’appareils respiratoires. La Suisse a fait de même]
Si l’Allemagne a elle aussi pris des mesures de fermetures d’écoles, de « distanciation sociale », que Frédéric Neyrat appelle un « séparatisme de contrôle», on n’y avait pas considéré jusqu’à présent qu’une Ausgangsperre (littéralement interdiction de sortie) généralisée apporte un bénéfice supplémentaire. Mais c’était là un point de vue de virologue. Au fur et à mesure de l’extension de l’épidémie, les Laenders se rapprochent des modalités de confinement qui sont les nôtres. Ils ont des marges d’autonomie en matière de gestion sanitaire et peuvent anticiper des décisions fédérales comme cela avait été le cas pour la « fermeture » des frontières. Il y a aussi la pression de l’opinion publique. Cela dit, leur système sanitaire a subi les mêmes avaries néolibérales que le nôtre.
« Pour prévenir les infections et sauver des vies, le moyen le plus efficace est de briser les chaînes de transmission. Et pour cela, il faut dépister et isoler.
Vous ne pouvez pas combattre un incendie les yeux bandés. Et nous ne pouvons pas arrêter cette pandémie si nous ne savons pas qui est infecté par le virus.
Nous avons un message simple pour tous les pays : testez, testez, testez.
Testez tous les cas suspects. »
(Allocution liminaire du Directeur général de l’Organisation mondiale de la santé , OMS, lors du point presse sur la COVID-19 – 16 mars 2020)
Des tests, encore faut-il en avoir. Au lieu de cela, on isole les non dépistés. Sous la surveillance des drones de la gendarmerie alors que la police commence à contrôler le contenu des charriots à la sortie des supermarchés. Ces produits sont-ils vraiment de première nécessité ?
Être en résidence surveillée, en bonne, ou relativement bonne, santé, prisonnier de n’avoir rien, ni rien fait, est donc le sort de ceux qui sont désignés comme des « alliés de guerre » selon l’expression du Ministre de l’intérieur. Les actes de soin, les précautions et mesures préventives de santé fussent-ils, de crise, sévères ne sont pas des actes de « guerre », n’en déplaise au Président de la République qui a utilisé sept fois le mot. La « guerre » signifie la suspension des actes civiques. Il n’y a plus de civils dans la « guerre ». Drôle de « guerre » dans laquelle les fantassins sont envoyés au front tout nus, selon l’expression du chef des médecins régulateurs du Centre 15 dans le Haut-Rhin, avec ses « brancardiers », les étudiants en médecine, organisés de « manière martiale » selon l’expression du doyen de la Faculté de médecine de Strasbourg, avec ses « héros de l’ombre » (sic) : les supermarchés. Et à tous ceux-ci, la patrie reconnaissante ! Or, voilà que l’on passe de la guerre à l’état d’urgence sanitaire. On se demande qui panique.
Le « confinement » pose la question de la capacité à le supporter, indépendamment ?- peut-être pas – du degré de coercition qui l’impose, question qui avait déjà préoccupé Blaise Pascal. On n’en retient en général qu’une seule phrase : « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre ». L’ensemble du passage, intitulé divertissement, mérite d’être relu. Comme nous avons du temps, le voici.
Divertissement
« Quand je m’y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s’exposent dans la Cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir, n’en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d’une place. On n’achète une charge à l’armée si cher, que parce qu’on trouverait insupportable de ne bouger de la ville. Et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec plaisir. Etc.
Mais quand j’ai pensé de plus près et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective et qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près.
Quelque condition qu’on se figure, où l’on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royauté est le plus beau poste du monde. Et cependant, qu’on s’en imagine accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher. S’il est sans divertissement et qu’on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu’il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point. Il tombera par nécessité dans les vues qui le menacent des révoltes qui peuvent arriver et enfin de la mort et des maladies, qui sont inévitables. De sorte que s’il est sans ce qu’on appelle divertissement, le voilà malheureux, et plus malheureux que le moindre de ses sujets qui joue et qui se divertit
De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. Ce n’est pas qu’il y ait en effet du bonheur, ni qu’on s’imagine que la vraie béatitude soit d’avoir l’argent qu’on peut gagner au jeu ou dans le lièvre qu’on court, on n’en voudrait pas s’il était offert. Ce n’est pas cet usage mol et paisible et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition qu’on recherche ni les dangers de la guerre ni la peine des emplois, mais c’est le tracas qui nous détourne d’y penser et nous divertit.»
Blaise Pascal : Pensées
A propos de lectures, pourquoi pas de la poésie ? Donnez-nous notre poème quotidien. On peut pour cela suivre le fil utile pour confinés de Poezibao avec un reportage sur le 250ème anniversaire de la naissance de Hölderlin , Hörlerlin pour qui on peut aussi bien tomber vers le haut que vers le bas. Ou le collectif Pou qui collecte les poèmes du Grand confinement de 2020.
La question des mots justes est plus essentielle que jamais. Les éditions Gallimard proposent quotidiennement des tracts de crise
« Alors qu’aujourd’hui « les événements ont cessé de faire grève », comme l’écrivait Jean Baudrillard en d’autres circonstances (2001), l’écrit a plus que jamais sa place pour nous aider à employer les mots justes ; les mots justes qui nous saisissent autant qu’ils nous libèrent.»
Aux élèves confinés, la Nation apprenante : révisez avec France Culture
A Mulhouse :