
Méphistophélès répandant la peste. Image extraite du film Faust, une légende allemande de Friedrich Wilhelm Murnau (1926).Toute ressemblance …Dans le rôle de Méphistophéles : Emil Jannings
F.W. Murnau met, dans son film Faust, une légende allemande, le pacte de Faust avec le diable en relation directe avec la peste. Bien que sa lecture soit postérieure à celle de Goethe, Murnau fait un retour au Moyen-Âge pour des raisons cinématographiques et considérant que le Faust de Goethe sans la parole de Goethe aurait été un non-sens. Il s’empare donc non de la pièce dont ce n’est pas une adaptation mais de la thématique de Faust, ce qui permet à son scénariste Hans Kyser de marier des éléments de sources diverses. Il y en a notamment deux. Celle qui est à la base de toutes L’Historia von D. Johann Fausten dem weitbeschreiten Zauberer und Schwarzkünstler d’un auteur resté anonyme qui parut en 1587 chez l’éditeur Johann Spies à Francfort. Dans ce qui suit je désignerai ce livre par l’Historia. La version anglaise parut en 1594. Cette dernière inspira le dramaturge anglais Christopher Marlowe qui écrivit sa pièce Tragicall History of D. Faustus autour de 1588-1590. Elle est publiée en 1604. Une peste a sévi à Londres en 1593. C’est à partir de cette version que la légende a fait retour en Allemagne et s’est popularisée notamment au travers d’adaptation pour marionnettes. Il existe une version pour marionnettes très méconnue, elle est dite : de Strasbourg. Goethe a sans doute vu des spectacles de marionnettes thématisant la vie du Dr Faust. Il semble que ce soit C. Marlowe qui ait introduit le thème de la peste dans la légende. Très tôt, l’Historia a aussi été traduite en français. Il existe à la Bibliothèque nationale une traduction qui date de 1598 avec un titre à rallonge : L’histoire prodigieuse et lamentable du Docteur Fauste avec sa mort espouvantable. Là où est monstré, combien est misérable la curiosité des illusions et impostures de l’Esprit malin… . Dès l‘Historia, Faust est un médecin.
Un mot sur le Faust historique
Il est établi qu’un Faust a bel et bien existé. Il est natif de l’espace rhénan. Peut-être même étaient-ils plusieurs. Il était astrologue, la science de son époque. Il s’adonnait à la magie. Il était ce que l’on appellerait aujourd’hui, un marginal. En langue allemande, on dit de ce genre de personnage qu’il pense de travers, (Querdenker), c’est-à-dire empruntant des chemins hors des sentiers battus. Il était en outre un vagabond, ce qui à l’époque n’était pas connoté négativement. Il ne vient pas d’un sombre moyen-âge mais du début de la modernité. Il a en tous les cas vécu dans une période de bouleversements, celle de Christophe, Colomb, Léonard de Vinci, Copernic, Martin Luther, de la Guerre des paysans en Allemagne (1525) , Rabelais, Paracelse, autre alchimiste, une période où les idées neuves sont forcément une invention du diable, où les clercs perdent leur pouvoir avec l’apparition de l’imprimerie, cette autre “magie noire”. Un des compagnons de Gutenberg s’appelait d’ailleurs Faust. L’Église acceptait la magie blanche, divine, et condamnait la magie noire, diabolique.
La légende d’origine
L’Historia se veut un récit d’édification emprunt de « morale » luthérienne. Et ce n’est sans doute pas un hasard si l’auteur situe son enfance dans la ville de Luther, Wittenberg où il a grandi chez un cousin. Faustus y est présenté comme né à Rod près de Weimar. Il y est décrit comme brillant étudiant insatisfait de ses études et porté vers l’ésotérisme. Pour Martin Luther, qui croyait fort au diable, Faust était un de ses obscurs compagnons.
Le second chapitre raconte comment cet esprit très apprenant et agile se qualifia pour les études, parvint si loin dans les examens qu‘il fut admis à passer son magistère avec seize autres candidats. Il leur fut supérieur en tout et devint ainsi docteur en théologie. Il n’en fut pas satisfait et opta pour la médecine.

Page de la traduction française de l’Historia (1598) Bibliothèque nationale
Doct. Faustus ein Artzt, vnd wie er den Teuffel beschworen hat.
„ Daneben so hat Er auch ein thummen Vnsynnigen vnd hofferttigen kopff wie man jn dann allzeit den Speculierer genannt / jst zu der boesten gesellschafft gerathen / hat die Haylig Schrift ein weil hinderdie Thur/ vnnd vnder Die Bannckh gesteckht / Das wortt Gottes nit Lieb gehalten/ sonnder hat Rochvnnd Gottloß jnn Fullerey / vnnd Vnzucht gelebt (wie dann dise Historj hernach genuegsam zeugnus gibt.) Aber es ist ein War sprichtwort / Was zum Teuffel will / last sich nit aufhalten/ Zudem sofand Doctor Faustus seines gleichen / Die giengen Vmb mit Chaldeyischen / Persischen / Arabischen / vnnd Griechischen Wörtern Figuris, Characteribus, Coniurationibus, Incantationibus / Vnnd Dise erzelte stuckh waren Lautter Dardaniæ Artes Nigromantiæ, Carmina veneficium, vaticinium, Incantatio, vnnd wie solliche Buecher / Worter/ vnnd Namen der beschwerung vnnd Zaubereygenennt werden mögen / Das gefiel Doctor Fausto wol speculiert vnnd studiert Tag vnnd Nacht darjnnen / Wolt sich hernach kein Theologum mehr nennen lassen / ward ein Weltmensch / Nennt sichein Doctor Medicinæ, ward ein Astrologus vnnd Mathematicus / vnnd zum glimpffen ward Er ein Artzt / halff erstlichen vil Leuthen mit der Artzney durch Kreutter / Wurtzel vnd Trankh / Recept /vnnd Christieren / neben dem ward Er beredt/ jnn der Heyligen schrift wol erfahren / wust Die Regell Christj gar wol (.Wer den willen des herren waist vnd thuet jn nicht / der wirt Doppelt ge-schlagen / jtem Du solt Gott deinen herren nit versuechen.) Aber Diss alles schlueg Er jn Wind / setztsein Seel ein weil vf die Vberthur/ Darumb bey jm kein entschuldigung soll /“
Doct. Faustus un médecin et comment il a pactisé avec le diable.
« Mais à côté de cela, il avait une tête folle et orgueilleuse qui faisait qu‘on le qualifia d’esprit spéculatif, il est tombé en très méchante société. Il a placé la Sainte Écriture pour un temps sous le boisseau, il a vécu en mécréant sans scrupule (comme le rapportera encore amplement cette Historia). Le proverbe dit vrai : rien n‘arrête ce qui veut aller au diable. En plus le Dr Faustus rencontra des semblables. Ils parlaient avec des mots chaldéens, persans, arabes et grecs : figuris, characteribus, caracteribus, conjuratoribus, incantationibus [signes, caractères magiques, paroles de sortilège, formules magiques] comme on appelle ce qui désigne les sortilèges et la magie. On ne parlait que de Dardaniæ Artes, Nigromantiæ, Carmina, veneficium, vaticinium, Incantatio [arts magiques, magie noire, incantations, poisons, prophéties, sorcellerie]. Cela plaisait fort au docteur Faustus. Il spéculait et étudiait nuits et jours dans les livres qui en traitaient. Il ne voulut à la suite de cela ne plus être nommé théologien mais homme du monde. Il se nommait un docteur en médecine [Doctor Medicinæ], était astrologue et mathématicien, pour finir médecin [Arzt]. En premier, il aida beaucoup de gens avec des remèdes, des herbes, des racines, des eaux, des potions, recettes et lavements. Il était à côté de cela éloquent, bien renseigné sur l‘Écriture sainte. Il connaissait très bien les règles du Christ. Celui qui connaît bien la volonté du Seigneur et ne la suit pas sera doublement frappé (de Dieu). Item : Tu ne tenteras pas ton seigneur, ton Dieu. Mais tout cela il le jeta par-dessus bord. Il se renia lui-même. Il ne lui sera pas pardonné. »
L’idée de Faust médecin préoccupé de soigner les gens est contenue d’emblée dans la légende. Faust à l’origine est jeune. Il l’est aussi chez Marlowe, contrairement à Goethe et Murnau où il est d’un âge avancé avec la nostalgie de la jeunesse. Christopher Marlowe reprend l’Historia dans le prologue de sa pièce avec un chœur narratif La tragique histoire de la vie et de la mort du Dr Faust (titre de la troisième édition) :
« Il est né de bas lignage, en Allemagne, dans une ville nommée Rhodes. À l’âge mûr, il alla à Wittemberg, où l’un de ses parents se chargea principalement de son éducation. Il profita si bien en religion, enrichissant le champ fertile du savoir, qu’on le décora bientôt du titre de docteur, excellent entre tous ceux qui disputent à plaisir sur les célestes matières de la Théologie. Alors, superbe et fier de sa science, il s’éleva, porté par ses ailes de cire, au-delà de ses forces et les cieux, qui les fondirent, conspirèrent sa chute. Il est tombé dans les arts démoniaques, et a gorgé ses talents de savoir doré. Il se repaît de la maudite nécromancie; rien ne lui est maintenant plus doux que la magie, qu’il préfère même à son Salut : Tel est l’homme assis dans son cabinet d’études. »
(Christopher Marlowe : Faust. Pièce en cinq actes. Traduite par Charles Le Blanc.)
Puis nous retrouvons Faust dans son cabinet d’études. Après avoir examiné la question de la logique d’Aristote, c’est au tour de la médecine car ubi desinit philosophus, ibi incipit medicus [«là où s’arrêtent les philosophes, les médecins débutent»].
«Vienne Galien !, car ubi desinit philosophus, ibi incipit medicus. Sois médecin, Faust, empile les écus, et deviens immortel par quelque cure miraculeuse. Summum bonum medicinæ sanitas. Le but ultime de la médecine est la santé. Allons, Faust, n’as-tu pas également atteint ce but ? Tes banalités ne résonnent-elles pas comme autant d’aphorismes? Tes prescriptions grâce auxquelles des villes entières furent sauvées de la peste et mille maux sans espoir enfin soulagés, ne sont-elles pas honorées ? Et pourtant, Faust, tu n’es et ne demeures qu’un homme. Pourrais-tu faire que l’homme vive à jamais, ou que, mort, il renaisse à la vie, alors cette profession t’apporterait l’estime. Adieu donc Médecine ! »
Enchaîne l’examen de la question du Droit avec Justinien, pour finir par un retour à la théologie. Tout cela est abandonné au profit des arts de la magie : « un bon magicien est un demi-dieu. Au travail, ô Faust, et deviens un Dieu! ». Cela sera repris par Goethe de manière bien plus ramassée :
« Hélas ! La philosophie,
La jurisprudence et la médecine,
Et aussi par malheur la théologie,
Je les ai étudiées à fond, avec un zèle ardent.
Et maintenant me voilà, pauvre fou !
Aussi sage que devant. »
La guérison de la peste qui pourtant ne satisfait pas le Dr Faust est ici introduite par Marlowe. Goethe reprendra lui aussi cette question, nous verrons plus loin comment. Pour les deux auteurs s’agrègent à la légende deux autres figures : Paracelse qui soigne de la peste les habitants d’une ville du sud du Tyrol en 1534 et écrira un traité sur la peste en 1535, et Heinrich Cornelius Agrippa von Nettesheim, un esprit universel, théologien, juriste médecin et philosophe qui avait écrit en 1525 un De incertitudine et vanitate omnium scientiarum et artium (Sur l’incertitude et la vanité de tous les arts et de toutes les sciences).
Je dévie un peu pour rappeler ici que pour Paracelse, les maladies ne sont pas mono- mais pluri-causales. Pour lui il existe cinq entités de la peste :
« Il y a cinq entités qui produisent et engendrent toutes les maladies, de chacune desquelles provient chaque maladie […]. [1] [La force que renferment en eux les astres] agit de telle sorte en notre corps qu’il est complètement soumis à leur opération et à leur impression. Cette force des astres est appelée entité astrale (ens astrorum)… [2] La seconde force ou puissance, qui nous trouble violemment et nous précipite dans les maladies, est l’entité vénéneuse (ens veneni)… [3] La troisième force est celle qui affaiblit et use notre corps… On l’appelle entité naturelle (ens naturale). Cette entité se perçoit si notre corps est incommodé par une complexion immodérée ou affaibli par une complexion mauvaise… [4] La quatrième entité s’entend des esprits puissants, qui blessent et débilitent notre corps qui est en leur puissance… : entité spirituelle (ens spirituale)… [5] La cinquième entité qui agit en nous, c’est l’entité divine (ens Dei). […] Il existe cinq pestes : une provenant de l’entité de l’astre, une autre de l’entité du poison, une troisième de l’entité de la nature, une quatrième de l’entité des esprits, et la dernière de l’entité de Dieu. […]
(Paracelse,Volumen medicinae paramirum : Œuvres médico-chimiques ou Paradoxes. Liber paramirum, t. 1, 19-26. Source)
Le Faust de Goethe

Méphistophélès dans les airs. Illustrations du Faust de Goethe par Eugène Delacroix (1798-1863) Lithographie. 1827.
C’est dans la célèbre promenade de Pâques, très connue en Allemagne, souvent évoquée non pas pour le passage qui va suivre mais par son hymne au retour du printemps, que Goethe aborde la question du rapport du médecin à la peste dans un retour en arrière de Faust en compagnie de son assistant autour de la pierre qui lui servait de halte méditative :
« FAUST
Quelques pas encore, Jusqu’à cette pierre,
Et nous pourrons nous reposer de notre promenade,
Que de fois je m’y suis assis pensif seul,
Me torturant de prières et de jeûnes,
Riche d’espérance, ferme dans ma foi,
Par des larmes, des soupirs, des mains nouées ;
Je croyais obtenir du maître des cieux
La fin de cette peste cruelle.
Maintenant, les suffrages de la foule retentissent à mon oreille
comme une raillerie.
Oh ! Si tu pouvais lire dans mon cœur,
Combien peu le père et le fils
Méritaient tant de renommée!
Mon père était un obscur honnête homme
Qui sur la nature et ses cercles divins,
En toute probité, mais à sa manière,
Méditait en poursuivant des chimères ;
Il avait coutume, avec une société d’adeptes,
De s’enfermer dans le sombre laboratoire
Où, d’après des recettes infinies,
Il opérait la fusion des contraires.
C’était un lion rouge, hardi prétendant,
Qu’il unissait dans un bain tiède à la fleur de lys
Puis, les plaçant au milieu des flammes,
Il les transvasait d’un creuset nuptial à un autre.
Alors apparaissait, dans un verre,
La jeune reine irisée de mille couleurs,
C’était le remède, les patients mouraient,
Et personne ne demandait : Qui a guéri ?
C’est ainsi qu’avec des électuaires infernaux
Dans ces montagnes et ces vallées
Nous avons fait plus de ravage que l’épidémie
J’ai moi-même offert le poison à des milliers d’hommes
Ils ont tous dépéri, et, moi, j’ai survécu,
Pour que j’entende louer les impudents assassins.
WAGNER
Comment pouvez-vous vous affliger de cela ?
Un homme de bien ne fait-il pas assez
Quand il exerce l’art qui lui fut transmis.
Avec conscience et exactitude ?
Si tu honores ton père, jeune homme,
Tu recevras volontiers ses instructions :
Adulte, si tu fais avancer la science,
Ton fils pourra parvenir à un but plus élevé.
FAUST
Ô bienheureux qui peut encore espérer
Émerger de cet océan d’erreurs !
On a besoin de ce qu’on ne sait point,
Et de ce qu’on sait, on ne sait pas l’usage »
(Goethe : Faust 1 v 1022 -1066. Edition établie par Jean Lacoste et Jacques Le Rider. Ed. Bartillat)
C’est la réminiscence d’un autrefois, d’une pratique médicale ancienne dont les habitants se souviennent encore et pour laquelle, ils congratulent toujours leur médecin. Chez Goethe est introduite une expérience intergénérationnelle. Son père, avec qui Faust a pratiqué les soins, est qualifié par le fils d’ « obscur honnête homme » (dunkler Ehrenmann), à qui on ne dénie pas la « probité » mais qui reste obscur. Ce dernier adjectif désigne le fait qu’il ne fut pas connu tout comme, peut-être, son étrangeté, mais suggère aussi la pratique de sciences occultes. Cela est souligné par le sombre laboratoire dans lequel il cherche « la fusion des contraires ». Le lien entre médecine et alchimie donne un résultat peu probant : le remède est poison. Du moins Faust ne retient-il que cette dimension du pharmaka alors que, comme l’a souligné Paracelse, la différence entre remède et poison est affaire de dosage. Il faut une autre approche des contraires que celle qui vise à leur « fusion ». Le sentiment d’échec domine Faust au point qu’il se qualifie d’assassin. Faust, fils et complice d’assassin ! Mais le passage signale aussi que la question ne concerne pas des recherches spéculatives mais des savoirs pratiques : trouver un moyen de guérison. Faust a perdu la foi en Dieu. Quand celle ci-était encore ferme, il avait prié en vain pour de l’aide face à l’épidémie. Entre-temps, le sentiment d’impuissance lui a aussi fait perdre la foi dans la médecine. Il qualifie d’illusions même les avancées de cet art. Et avec ce paradoxe qu’aux yeux de ses patients il les a tout de même guéris. Mais Faust a honte des louanges que lui prodiguent les habitants délivrés de la peste dont lui-même en a été immun (= non soumis à..) car il ne peut expliquer cela scientifiquement au sens de savoirs rationnels qui rejettent dans l’obscurité, au rayon magie, les savoir-faire pratiques, empiriques. Il est une figure de la mélancolie, bile noire, dans la théorie des humeurs.
Reste la question du décalage entre ce que l’on sait et ce que l’on aurait besoin de savoir.
« On a besoin de ce qu’on ne sait point,
Et de ce qu’on sait, on ne sait pas l’usage »
Une sentence qui n’est pas sans résonance d’actualité. Outre la déconnexion entre savoirs et pratiques, Faust n’accepte pas qu’il y ait des limites tant aux savoirs que d’une manière plus générale comme le montre clairement Goethe dans la seconde partie de la tragédie quand Faust deviendra un entrepreneur sans frein, ni écologique ni d’hospitalité, après avoir découvert « l’alchimie » de l’argent papier.
On peut préciser qu’à l’époque où c’est écrit, la science médicale ne pouvait expliquer ni les succès ni les échecs des médications. Goethe ne caractérise pas la peste. On peut penser que cela désigne plus généralement les épidémies. Il a connu dans son enfance la rougeole, la varicelle et surtout la variole. Souvent malade, il se soignait par des décoctions de plantes et du sulfate de sodium. Et l’opium pour les douleurs. Son premier infarctus a été traité par des saignées et des compresses de raifort. Au delà des questions que se pose Faust concernant celles de guérir ou tout le monde ou personne, ce qui implique la recherche d’un remède universel, se posait, à l’époque de Goethe qui est en partie aussi celle d’Immanuel Kant, celle du rapport de la médecine et de la loi morale. A partir notamment de celle de l’inoculation (variolite), ancêtre de la vaccination. Kant s’est intéressé à la question de savoir si l’on pouvait inoculer le mal pour guérir le mal. Faire le bien en faisant le mal est une thématique toute faustienne. Contrairement à Kant, Goethe était favorable à l’inoculation.
Faust, une légende populaire allemande
Le film de F.W. Murnau s’intitule : Faust, une légende populaire allemande. Tout en jouant sur la connaissance du Faust de Goethe dont tous les soldats de la Première Guerre mondiale avaient un exemplaire dans leur havresac, Murnau s‘en démarque en ouvrant sur plus de possibles et de libertés filmiques. Comme le note Hans Kyser scénariste du film :
« Étant donné qu’un film s’inspirant étroitement de l’œuvre de Goethe serait incompréhensible sans la parole de Goethe, c’était une exigence dictée par les lois mêmes du genre filmique que d’élaborer davantage les motifs porteurs d’images. C’est le cas, par exemple, des vains efforts de Faust pour soigner les pestiférés. Il n’aurait guère été facile de créer une relation humainement émouvante avec un esprit médiéval qui ne fréquente que des succubes et des incubes » (Cité d’après la Revue Suisse du cinéma n°1, 1926.)


Images extraites du film Faust, une légende allemande de Friedrich Wilhelm Murnau. En jetant ses livres au feu, Faust découvre la data, clé d’accès au diable.
Murnau innove en mettant, contrairement à ses prédécesseurs, la rencontre entre Faust et le diable en lien direct avec l’épidémie de peste, elle-même l’œuvre d’une puissance maléfique. Le film s’ouvre sur trois cavaliers de l’apocalypse. La peste n’arrive pas seule. Elle est accompagnée d’autres fléaux qui ternissent l’image même d’un dieu : la guerre et la faim. Devant l’archange Gabriel, Méphistophélès, dont le nom même évoque quelque chose de sulfureux et de pestilentiel (mephitis), prétend que la terre lui appartient. L’archange lui désigne Faust qui enseigne que l’homme dispose de la liberté de choisir entre le bien et le mal. Le diable fait le pari qu’il gagnera le docteur à sa cause arguant qu’il est corruptible comme un autre. Si Mephisto gagne son pari, la terre lui appartiendra. Il emploie pour cela les grands moyens. Il répand la peste pour tenter de ramasser la mise en mettant Faust face à son impuissance devant l’épidémie. C’est à partir de cette impuissance face à la maladie que Faust dit que la foi et la connaissance ne sont d’aucun secours et se met à brûler ses livres. Ce faisant, il découvre, comme en palimpseste, la data qui contient le code d’accès (Schlüssel) au diable. Avec celui-ci, il conclut un pacte temporaire d’une journée demandant à être délivré de son impuissance face à l’épidémie. Faust guérit la population. Au nom du diable. D’abord crédité d’avoir réalisé un miracle, le docteur se voit ensuite accusé d’avoir pactisé avec le diable et se fait lapider. Faust tente de se suicider mais Méphisto l’en empêche. Il n’en a pas fini avec lui et lui fait miroiter le retour à la jeunesse, autre thème faustien.
Je vous propose pour terminer de visionner un extrait du film de F.W. Murnau .
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Une lettre ouverte de la « génération » de jeunes scientifiques aux gouvernements allemands sur la gestion de la crise sanitaire.
Un groupe de plusieurs centaines de jeunes scientifiques allemands de multiples disciplines ont signé une lettre ouverte aux gouvernements fédéral et des Länder pour réclamer voix au chapitre dans la gestion de la crise pandémique et dans les discussions sur son issue. Elles et ils s’en sentent exclu.e.s et réclament que leurs points de vue en tant que génération soient pris en compte. Pour rappel : les gestions sanitaire et scolaire sont en Allemagne largement du ressort des Länder.
Si j’ai décidé de traduire ce texte et de le mettre en ligne, ce n’est pas tant pour la question de savoir s’il faut ouvrir ou non les crèches et les écoles maternelles. Le débat est mouvant et controversé. Les décisions politiques ont été reportées et peuvent changer d’un jour à l’autre. Ce que j’en retiens est que les données et études scientifiques sont pour l’instant trop minces pour permettre une décision fondée. Ce qui m’a motivé ce sont deux autres aspects. D’une part, la composition des signataires, en grande majorité titulaires d’un titre de docteur voir plus : Prof.Dr. ou Dr-Ing., donc des chercheurs, professeurs d’université. D’autre part, le texte pose de manière, me semble-t-il, inédite la question générationnelle. Ils forment une catégorie sociale et générationnelle, celle des 25-50 ans diplômés.
La recommandation des scientifiques, à dominante masculine et d’un certain âge, de la Leopoldina, l’Académie des sciences allemande, de maintenir fermées les kitas (structures d’accueil journalier de la petite enfance) jusqu’à l’été, a été la goutte qui a fait déborder le vase.
La catégorie sociale et générationnelle des signataires se pose en opposition avec la précédente. Sur le plan social, elle vit moins bien et a appris depuis la crise financière de 2008 qu’elle n’est pas épargnée quand il s’agit de payer la facture du quoi qu’il en coûte. Elle considère en outre que les décisions actuelles sont à courte vue et ne prennent pas en compte la question des générations futures. Parmi les signataires se trouve un grand nombre de femmes dans une phase sensible de leur carrière universitaire et qui se sentent à nouveau rétrogradées au statut ancien de femme au foyer.
Il y a sans doute des points à discuter. Si la question de la gestion et d’une sortie de crise sanitaire dans l’optique d’un développement durable est évoquée, elle aurait sans doute méritée d’être un peu développée et mise en relation avec les préoccupations de la génération Thunberg. L’une des initiatrices de la lettre signale en particulier, pour le déplorer, la recrudescence de la plastification dans la consommation. Sur le plan économique, les signataires en restent un peu à un schéma classique, social démocrate, de redistribution.
Exceptionnellement, je mets le texte allemand, avec la liste des 500 premiers signataires, en pdf . Les mise à jours signalées et les caractères gras sont dans le texte original.
Lettre ouverte aux gouvernements fédéral et des Länder
Mesdames, messieurs,
La crise du Corona et en particulier les recommandations de nombreux expert.e.s scientifiques qui influence de manière significative la prise de décision politique, nous ont incités à rédiger cette lettre. La lettre est donc adressée à tous celles et ceux qui décident les politiques actuelles et futures, et donc engagent l’avenir de notre société !
Qui sommes-nous? – Nous sommes un groupe de scientifiques issus de différents domaines scientifiques, avec et sans enfants, dont l’âge se situe entre 25 et 50 ans. Nous formons donc une partie du grand groupe de population qui sont le moteur scientifique, social et économique de la société, élèvent la génération future et finance les retraites de la génération plus âgée.
Que voulons-nous ? – Participer à la construction d’une voie démocratique pour sortir de la crise sanitaire actuelle et équilibrer la discussion en y intégrant la perspective de la génération entre 25 et 50 ans ainsi que celle de la durabilité
De nombreux avis et évaluations scientifiques importantes sont actuellement disponibles. La plupart d’entre eux ont été conçus et mis en œuvre par des personnes de la génération plus âgée. Cependant, le groupe d’âge que nous représentons a un tout autre point de vue économique et social entre plans de carrière, situation familiale et perspective d’avenir. Elle doit faire face à des défis sociaux et personnels différents de ceux de la génération d’avant. Parmi ceux-ci, les changements démographiques, y compris les dispositions pour les retraites et la division sociale croissante entre riches et pauvres, l’égalité des droits et l’égalité des chances, la perte de biodiversité et changement climatique, et bien plus encore. S’il y a une génération, sur les épaules de laquelle reposeront les conséquences à long terme de la crise actuelle, alors c’est cette génération.
Les commissions d’expert.e.s ne représentent qu’une petite partie de la diversité des perspectives de notre société et de ses scientifiques. C’est ainsi par exemple que le groupe de travail de l’ Académie nationale des Sciences Leopoldina se compose de 24 scientifiques hommes et de seulement deux femmes avec une moyenne d‘âge de 63 ans ( le plus jeune membre est âgé de 50 ans).
Qu’offrons-nous ? Nous offrons nos savoirs, notre temps et nos motivations pour agir positivement sur l‘avenir de notre société. Ensemble avec les autres générations, nous pouvons endosser une fonction délibérative pour les preneur.euse.s de décisions politiques. Nous pouvons ainsi contribuer à ce que les décisions à prendre dans le présent et le futur le soient collectivement. Et qu’elles soient avant tout fondées scientifiquement, examinées de multiples façons à fond, largement discutées et prises au profit de l’ensemble de la société présente ainsi que de celle à venir.
Quels sont les thèmes très actuels que nous voulons discuter
1) Le soin aux enfants
Les mesures actuelles de restrictions de sortie et de contacts touchent particulièrement les parents avec une dureté maximale. Le soin à porter aux enfants de moins de cinq ans est de fait une tâche à temps plein. Dans le cas où les enfants sont plus âgés, elles restreignent encore fortement les capacités de travail même quand le job peut être réalisé entièrement en télé-travail. Cela signifie que pendant la durée du « confinement », un adulte par famille ne peut faire son travail que de manière temporaire. Cela touche la tranche d’âge des 25-45 ans dans une phase particulièrement sensible tant financièrement que pour le déroulement des carrières. La plupart des jeunes familles ont besoin de plus que d’un salaire et sont réduites dans la situation actuelle à un seul revenu le plus souvent encore diminué. Pour les personnes qui élèvent seules leurs enfants, la situation est encore plus précaire. Les conséquences pour le développement des carrières en particulier pour les femmes s’annoncent catastrophiques [mise à jour du 23.04.2020 : en particulier pour les femmes scientifiques, les premières indications signales que le nombre de leurs publications est en baisse]. Selon de récentes collectes de données, les femmes avant tout sont, dans la période d’isolement, ramenées à leur rôle traditionnel et font passer les tâches domestiques devant leurs carrières.
Du point de vue des enfants aussi, les mesures d’isolement social sur plusieurs mois sont hautement problématiques et pèsent psychiquement lourdement. La totale interdiction de contacts avec les enfants du même âge sur un temps long conduit à la perte brutale et inattendue d’importants liens. Plus particulièrement les enfants en âge d’aller en crèche ou jardins d’enfants [en Allemagne, l’équivalent de nos maternelles de 3 à 6 ans], sont à peine en mesure de comprendre cette situation qui les insécurise. Du point de vue de la psychologie du développement, s’ajoutent d’autres inquiétudes : les faibles possibilités d’apprentissages sociaux dues à l’isolement. […] Dans le cas de situations familiales non idéales, l’isolement prolongé peut même conduire à des conséquences graves pour le bien-être physique et psychiques des enfants concernés.
Nous réclamons en conséquence d’accorder plus de priorité à la réouverture en petits groupes des Kitas [ Kindertagesstätte = Structures d’accueil journalier pour la petite enfance NdT] et des Jardin d’enfants. Un premier pas pour préparer la réouverture et en évaluer les conséquences pourrait-être la levée de l’interdiction constante de contacts pour les groupes de plus de 6 enfants. Ni les enfants, ni leurs parents ne comptent dans la plupart des cas parmi les groupes à risque. Les enfants selon de récentes études ne contribuent que marginalement à la propagation du virus. [mise à jour du 22.04.2020 : d’autres études ne révèlent pas de différence. Le très mince nombre d’études devrait donc conduite à une recherche intensifiée sur le rôle des enfants dans la propagation et aussi sur l’efficacité de mesures globales d’isolement des enfants]. Si les chiffres d’infection et le nombre de cas sévères incluant les décès devaient ne pas se développer négativement et anormalement, l’activité des Kitas pourrait reprendre prudemment pour tous. Il y aurait là aussi des possibilités de développer des modèles d’accueils partiels dans les écoles et les Kitas avec de petits groupes, des horaires réduits comme par exemple cela se fait à Hambourg [qui envisage d’ouvrir les structures aux enfants de familles monoparentales. NdT] ; plus de personnel dans les Kitas pour de meilleurs rapports personnel / nombre d’enfants ; partage de la charge de travail et compensations pour le temps de travail perdu pour s’occuper des enfants ; et continuer la distance avec les groupes à risques, etc.
2. L’économie
La situation économique des 25-45 ans s’est massivement modifiée ces 25 dernières années. Notre génération a beaucoup moins de biens et moins de ressources financières. Elle est dans une situation bien plus précaire que la même cohorte d’âge d’il y a 20, 30, 40 ou 50 ans. Si l’on divise la production économique allemande en revenus du travail et en revenus du capital, il devient clair que la crise actuelle – comme la plupart des crises – affecte particulièrement les personnes dépendantes d’un revenu du travail direct. Ce revenu du travail a été soit réduit dans bien des cas ou a été aboli par la nécessité forcée de s’occuper des enfants en raison des mesures de protections contre l’épidémie. En revanche, les revenus du capital – les pertes en bourse mises à part – ont à peine été affectés.
Les restrictions demandées aux citoyen.ne.s sont extrêmement inégalement réparties en ce moment. Cette inégalité est extrêmement préjudiciable à la solidarité sur laquelle nous comptons pour faire face à la crise.
Nous appelons donc à des façons mieux réfléchies d’être dans la crise et de s’organiser pour en sortir. Les charges mais aussi les bénéfices de la crise devraient être répartis équitablement et un déséquilibre encore plus important de revenus (comme cela s’est produit après la crise financière de 2008) doit être évité. Il serait possible de dégraisser et de redistribuer les bénéfices de la crise. Les aides d’État devraient également être soumises à conditions (par exemple, pas de dividendes ou paiements de bonus, investissements dans des stratégies durables) et être remboursées dès que le profit est à nouveau généré. La situation peut et doit aussi être utilisée pour ajuster notre modèle économique de manière prospective. Il y a sur ce sujet d’autres appels et suggestions.
Conclusion – Notre société doit pouvoir évaluer et distribuer équitablement les charges et les conséquences sociales et économiques de la crise. Dans les recommandations d’experts, nous ne voyons pas, jusqu’à présent, cela suffisamment pris en compte. Nous appelons donc les experts des recommandations précédentes et les politiciens à ouvrir de futures recommandations à la discussion avec les représentants de la jeune génération et à intégrer notre perspective dans le processus de prise de décision démocratique.
Publié le 24 avril 2020
(Trad Bernard Umbrecht)