« Es ist gut, eine Frau zu sein, und kein Sieger »
« Il est bon d’être une femme, et pas un vainqueur »
Heiner Müller : Quartett cité par Christa Wolf dans Cassandre
« Que les choses continuent à aller ainsi, voilà la catastrophe.
Ce n’est pas ce qui va advenir, mais l’état de choses donné à chaque instant. »
Walter Benjamin : Zentralpark. Fragments sur Baudelaire.
« Si les vieux imbéciles n’avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous n’aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s’en clamant les auteurs ! »
Lettre d’Arthur Rimbaud à Paul Demeny – 15 mai 1871
« Wer lebt, wird sehen »
« Qui vivra verra »
Christa Wolf : Cassandre
Dans une une première partie consacrée aux Prémisses, j’ai décris le processus de déconconstruction / construction dont la romancière nous a fait témoins. Elle y raconte la manière dont elle s’empare du sujet tout en étant pris par lui. La figure fragmentaire de la Cassandre historique et démythologisée devient projection, personnage de fiction, personnage central de la chute de Troie saisi au moment du passage du matriarcat au patriarcat. Nous assistons à la remémoration de la Guerre de Troie telle qu’elle l’a vécue. Elle est la seule à ne pas être prise dans le délire meurtrier. Cassandre est la préfiguration d’une quête d’un vivre autrement dans un monde qui met sa propre existence en jeu. Christa Wolf l’a dotée d’une expérience de vie. Ce n’est ni une enfant, ni une jeune fille mais une jeune femme. Peut-être trentenaire. Elle a deux enfants.
Nous passons à la lecture du récit éponyme proprement dit : Cassandre, le récit.
Comme d’habitude, d’abord un extrait, en allemand puis en français :

Image de la partition de l’opéra parlé de Michael Jarrell Cassandre d’après le récit de Christa Wolf
„ Nach einer langen öden Zeit ohne Träume hatte ich nachts endlich wieder einen Traum. Er gehört zu jenen Träumen, die ich gleich für bedeutsam hielt, nicht ohne weiteres verstand, doch nicht vergaß. Ich ging, allein, durch eine Stadt, die ich nicht kannte, Troia war es nicht, doch Troia war die einzige Stadt, die ich vorher je gesehn. Meine Traumstadt war größer, weitläufiger. Ich wußte, es war Nacht, doch Mond und Sonne standen gleichzeitig am Himmel und stritten um die Vorherrschaft. Ich war, von wem, das wurde nicht gesagt, zur Schiedsrichterin bestellt: Welches von den beiden Himmelsgestirnen heller strahlen könne. Etwas an diesem Wettkampf war verkehrt, doch was, das fand ich nicht heraus, wie ich mich auch anstrengen mochte. Bis ich mutlos und beklommen sagte, es wisse und sehe doch ein jeder, die Sonne sei es, die am hellsten strahle. Phöbos Apollon! rief triumphierend eine Stimme, und zugleich fuhr zu meinem Schrecken Selene, die liebe Mondfrau, klagend zum Horizont hinab. Dies war ein Urteil über mich, doch wie konnte ich schuldig sein, da ich nur ausgesprochen hatte, was der Fall war.
Mit dieser Frage bin ich aufgewacht. Beiläufig und mit falschem Lachen erzählte ich Marpessa meinen Traum. Sie schwieg dazu. Wie viele Tage war mir ihr Gesicht schon abgewandt. Dann kam sie, ließ mich ihre Augen sehn, die, so schiens mir, dunkler, tiefer geworden waren, und sagte: Das Wichtigste an deinem Traum, Kassandra, war dein Bemühn, auf eine ganz und gar verkehrte Frage doch eine Antwort zu versuchen. Daran sollst du dich, wenn es dazu kommt, erinnern.
Wer sagt das. Wem hast du meinen Traum erzählt.
Arisbe, erwiderte Marpessa, als sei das selbstverständlich, und ich schwieg. Hatte ich insgeheim gehofft, ihr, Arisbe, werde mein Traum vorgelegt? War sie also für meine Träume zuständig? Ich wußte, daß in diesen Fragen schon die Antwort lag und fühlte eine Regung in mir nach so langer Starre, die die ersten Monate des Kriegs verursacht hatten. Schon wieder war Vorfrühling, lange hatten uns die Griechen nicht mehr angegriffen, ich verließ die Festung, saß auf einem Hügel überm Fluß Skamander. Was hieß denn das: Die Sonne strahlte heller als der Mond. War denn der Mond zum Hellerstrahlen überhaupt bestimmt? Wer gab mir solche Fragen ein? So war ich, wenn ich Arisbe recht verstand, berechtigt, ja vielleicht verpflichtet, sie zurückzuweisen. Ein Ring, der äuferste, der mich umschlossen hatte, zersprang, fiel von mir ab, viele blieben. Ein Atemholem war es, ein Lockern der Gelenke, ein Aufblühn des Fleisches.“
Christa Wolf Kassandra – Erzählung Aufbau Verlag pp 289-291
« Après une longue et morne période sans rêve, j’en fis un à nouveau. C’était un de ces rêves auxquels j’accordai tout de suite une signification importante, sans le comprendre mais sans pouvoir l’oublier. Je marchais seule, dans une ville que je ne connaissais pas, ce n’était pas Troie, et pourtant Troie était la seule ville connue de moi. La ville de mon rêve était plus grande, plus étendue. Je savais que c’était la nuit, mais la lune et le soleil étaient en même temps dans le ciel, s’y disputant la suprématie. Quelqu’un, mais qui était-ce ? m’avait désignée comme arbitre : lequel de ces deux astres peut répandre la plus grande clarté ? Il y avait quelque chose de faux dans ce duel, mais en dépit de mes efforts, je n’arrivais pas à trouver quoi. Jusqu’à ce que, perdant courage et le cœur oppressé, je finisse par dire : n’importe qui le sait et le voit, c’est le soleil qui répand la plus grande clarté. Phoebus Apollon ! s’écria une voix triomphante, et au même moment, à mon plus grand effroi, Séléné, la bonne déesse Lune, descendit vers l’horizon en poussant une plainte. C’était un jugement porté sur moi, mais comment pouvais-je être coupable, car je m’étais contentée d’énoncer les faits. C’est sur cette question que je me suis réveillée. Incidemment, et avec un rire forcé, Je racontai mon rêve à Marpessa. Elle ne fit aucun commentaire. Cela faisait combien de jours que son visage s’était détourné de moi. Puis elle vint, me laissa voir ses yeux qui, Me sembla-t-il, étaient devenus plus sombres et plus profonds, et me dit : Le plus important dans ton rêve, Cassandre, c’était l’effort que tu faisais pour trouver quand même une réponse à une question tout à fait fausse. Voilà ce que tu ne devras pas oublier, si pareille situation se représente.
Qui dit cela ? À qui as-tu raconté mon rêve ?
À Arisbé, répondit Marpessa, comme si cela allait de soi, et je me tus. Avais-je secrètement espéré qu’on lui exposât mon rêve, à Arisbé ? Est- ce que mes rêves relevaient de sa compétence ? Je savais que ces questions contenaient déjà leur réponse, et je sentais bouger quelque chose en moi, après une si longue immobilité provoquée par les premiers mois de la guerre. De nouveau le printemps s’annonçait, cela faisait longtemps que les Grecs ne nous avaient pas attaqués, je quittai la forteresse et allai m’asseoir sur la colline surplombant le Scamandre. Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ? Le soleil répandait une plus grande clarté que la lune : la lune était-elle destinée à don- ner plus de lumière ? Qui m’inspirait de pareilles questions ? Ainsi étais-je en droit, si je comprenais bien Arisbé, dans l’obligation même, peut-être, de refuser ces questions. Un anneau qui m’avait entouré, le plus extérieur, se brisa, j’en fus débarrassée, beaucoup d’autres demeuraient en place. C’était comme une inspiration d’air frais, une détente des articulations, un épanouissement de la chair. »
Christa Wolf Cassandre. Récit. Stock La Cosmopolite. Traduction Alain Lance et Renate Lance-Otterbein. ppp 376-78
J’ai choisi ce passage car il marque une grande étape du chemin vers l’individuation qu’entreprend Cassandre. Par un retour du rêve, elle brise le premier cercle qui l’emprisonne et comprend qu’elle est en droit, en devoir même, de rejeter les fausses questions. Marpessa est la servante de Cassandre, une personne souveraine avec laquelle elle a été longtemps en froid. Et Arisbé, selon certaines sources première femme de Priam, le roi de Troie, avait le talent d’interpréter les rêves. Une sorte de Dr Freud de l’époque. Sans pardessus, j’imagine. Déjà elle entrevoit dans son rêve que Troie n’est peut-être plus la ville qu’elle connaît.
Mais reprenons au début.
Incipit : C’était ici, c’est là qu’elle se tenait. A la porte des lionnes à Mycènes. Une narratrice encadre le monologue de remémoration réflexive de Cassandre. Beaucoup de temps est passé. Des siècles. Ici, Cassandre se tient seule en direction de l’abattoir.
Puis une bascule passe le relai au personnage de Cassandre : « avec ce récit je descends dans la mort ».
Elle sait qu’elle sera exécutée par Clytemnestre. Le récit commence par le passé le plus immédiat avant de dérouler l’histoire de Cassandre qui devient observatrice centrale de la Guerre de Troie . Elle est, avec ses enfants issus d’un mariage forcé, captive d’Agamemnon qui l’a ramenée chez lui, à Mycènes, après la victoire des Grecs sur Troie. Cassandre, fille du Roi Priam, souverain de Troie, est « le modèle même des esclaves par droit de conquête » dans les tragédies d’Eschyle (Pierre Vidal Naquet). Cassandre se demande pourquoi elle avait tant désiré le don de prophétie. Son seul désir, se dit-elle, était de « parler avec ma voix ». La question de la prophétie se déplace d’emblée vers la conquête de sa voix – et de sa voie – qui constitue le cœur du récit.
Au début, elle est une brave fille de roi, la préférée de son père. Mais elle veut un métier. Elle n’a rien d’une rebelle. Elle marque vite ses distances avec Penthésilée « la guerrière, la tueuse d’hommes » moins avec une autre amazone, Myrine, dont les relations d’attirance sont plus ambiguës. Elle défend Énée qui avait décroché des combats et, restant en vie, a ainsi préservé la possibilité de fonder Rome. Cela, elle ne le dit pas mais le lecteur le sait
La fin de Troie était prévisible. Et par tous :
« tout ce qu’ils doivent savoir se déroulera sous leurs yeux et ils ne verront rien ».
La question n’est pas tant ce que voit Cassandre que l’aveuglement des Troyens avec cette lancinante question : pourquoi les autres ne voient-ils pas. Voir et comprendre. Elle a tout de suite compris à « son rire » le sort que Clytemnestre réservera à Agamemnon en déroulant le tapis rouge sous ses pieds. Tapis rouge dont j’ai appris en lisant les prémisses qu’il pouvait symboliser la justice (celle de Diké) que la reine se fait elle-même en le tuant. Il avait sacrifié leur fille Iphigénie pour ainsi dire pour… du vent,. A cela s’ajoute, qu’ayant régné en son absence, elle ne pouvait pas partager le trône avec « cette nullité », « une lavette ». Oui, elle parle bien d’Agamemnon. A son propos, elle affirme encore que, à l’exception d’Énée qui est un adulte,
«tous les hommes sont des enfants qui rapportent tout à eux-mêmes (ichbezogene Kinder) ».
L’infantilisation des adultes est un problème pour les enfants empêchés de l’être car ne trouvant pas en face d’eux des adultes. Il est un autre nom sur lequel Cassandre concentre toute sa haine et dont elle dit : « si je pouvais faire disparaître ce nom de toutes nos têtes, je n’aurais pas vécu pour rien ». Ce nom est celui d’Achille, « Achille, la bête » comme elle le désignera le plus souvent. Extirper ce pseudo héroïsme guerrier de nos têtes est un vaste projet d’ébranlement du patriarcat et de l’esprit de guerre. Cependant, il faut le souligner, comme nous l’avons déjà entrevu et comme on le verra encore, pas du tout dans une optique elle-même guerrière. Dans le présent du récit, elle n’a plus d’avenir.
« Le futur a pour moi cette seule phrase, je serai mise à mort avant la fin du jour ».
Nous apprenons qu’enfant, elle a été et s’est intéressée à la politique participant très jeune aux conversation de ses parents, Priam et Hécube. Elle est une privilégiée et on lui reprochera d’avoir été pour cette raison nommée prêtresse. Elle est bien placée pour savoir que ce n’est pas parce qu’il est messager que l’on s’en prend au porteur de nouvelles mais parce que son message nomme les actes.
Rêve :
« Apollon, le dieu des prophètes. Lui savait ce que je désirais ardemment : le don de prophétie qu’il m’accorda à vrai dire en passant, d’un geste que je n’osais pas ressentir comme décevant, seulement pour s’approcher ensuite de moi comme un mâle, alors qu’il se métamorphosa – du seul fait, je crois de ma terreur – en un loup entouré de souris, et qu’il me cracha rageusement dans la bouche quand il ne put me subjuguer »
Elle raconte à sa mère cette transformation du mythe en rêve dans lequel se mélange le mythe plus ancien du dieu-loup (Loup = Wolf qui est aussi le nom de l’auteure) avec le dieu solaire. Hécube, pour qui le mythe contemporain est réalité, lui répond : n’est-ce pas un honneur qu’un dieu s’accouple à une mortelle ? Et n’avait-elle pas, un an auparavant, à sa puberté – obligée, pense-t-elle – participé au rite de défloration d’Athéna ? Certes, mais ce qu’il s’est passé là elle ne l’a pas raconté à sa mère. Sa rencontre avec Enée et le fait que l’amour peut parfois « gêner les devoirs de l’hyménée ». Elle découvre ensuite le temple d’une déesse inconnue d’elle, Cybèle, (Kybélê = gardienne des savoirs), la déesse-mère. Elle s’ouvre aussi à un autre monde. Dans ce temple se réunissent des esclaves et des femmes habitant hors les murs de Troie. « Combien de réalités y avait -il encore à Troie en dehors de la mienne, que j’avais pourtant considérée comme la seule possible ? » Marpessa lui fournit la clé de son rêve :
« Si Apollon te crache dans la bouche, dit-elle solennellement, cela signifie que tu as le don de prédire l’avenir. Mais personne ne te croira »
Cassandre :
« Le don de prophétie. C’était cela. Quelle terreur. J’en avais tant rêvé. Me croire – ne pas me croire – on verrait. Il était tout de même impossible que les gens à la longue n’accordent pas foi aux dire d’une personne qui prouve qu’elle a raison »
Croit-elle encore. Cela va se compliquer.
Tout de suite après ce passage, Christa Wolf introduit l’autre origine du don, issu d’une strate antérieure, celui-ci partagé avec son frère jumeau Hélénos mais de manière différente. Alors qu’ils venaient de naître, les serpents, attributs de Gaïa, leur avaient léché les oreilles.
Cassandre se forme à son métier en compagnie du prêtre de Delphes Panthoos, le grec qui non seulement lui apprend le grec mais aussi « l’art de recevoir un homme ». Elle le fait en pensant à Enée qui n’avait pas voulu. Ou pas pu. Elle joue son rôle, joue à la prophétesse. « Je pensais qu’être adulte c’était jouer à se perdre soi-même ». Elle ne voit rien, est aveugle, routinière. Son savoir-faire est formel, sans vrai contenu, sans engagement, vide de sens. Accablante routine qui mène à souhaiter que quelque chose se passe y compris la guerre. Cet ennui sera un premier déclic.
« Qui vivra, verra. Je crois que derrière tout cela, c’est l’histoire de ma peur que je retrace. Ou plus exactement, comment elle s’est débridée, plus exactement encore : comment elle s’est libérée. Oui effectivement, la peur aussi peut-être libérée, ce qui montre bien qu’elle s’apparente à tout ce qu’on opprime, à tous ceux que l’on opprime ».
Lien entre deux futurs : vivre et voir. Et la question n’est pas de ne pas avoir peur mais de l’extérioriser pour en définir l’objet et ses liens avec toutes les formes d’oppression. Ce sont certes encore des formules mais aussi tout un programme. On ne pourra pas se fier pour transmettre cette histoire sur les scribes du palais. Sur leurs tablettes d’argiles, ils « ne savaient rien faire d’autre que compter ». Et non conter, raconter.
Départ du DEUXIÈME VAISSEAU. Les vaisseaux numérotés 1, 2, 3 toujours écrits en lettres majuscules, scandent les tensions croissantes entre Grecs et Troyens. Le premier avait encore un rôle de négociation pour l’accès à l’Hellespont (Détroit des Dardanelles), le second, que Christa Wolf nomme en premier parce lié à la première expérience de Cassandre, avait pour prétexte de récupérer Hésione, la sœur du Roi Prima retenue ?, enlevée ? De son plein gré ? à Sparte. Le vaisseau revient vide.
« Pour ne pas être obligés de voir l’inquiétante réalité derrière la splendide façade, nous remplaçons en toute hâte un jugement erroné par un autre »,
comprend Cassandre qui se demande comment le peuple oscillant entre enthousiasme et profonde déception peut avoir l’illusion d’une interruption magique des chaînes de causalité. Un premier mensonge d’État la frappe. Il concerne le devin Calchas qui a changé de camp et est resté volontairement chez les Grecs. Il faut taire cela. Cassandre subit une première mesure, sa servante et confidente, dissidente aussi, Marpessa, est soutirée à son entourage.
« Un anneau de silence se referma autour de moi. Le palais, mon lieu le plus familier, s’écarta de moi, mes chères cours intérieures se turent devant moi. J’étais seule avec mon droit. »
Quand on parle de séparatisme ! En présence d’Énée auquel les dieux avaient oublié « de donner en partage la faculté de mentir », pour la première fois se libère une voix étrangère longtemps restée dans sa gorge et qui disait qu’elle savait, qu’elle avait toujours su. A partir de là, il y aura un avant et un après. Elle devient celle se sachant savoir. Sa voix se singularise au prix de la solitude. Il y a constamment des moments de maladie et de santé recouvrée qui lui donnent de nouvelles clés de compréhension. Après l’une d’entre elles :
« La fonction de prêtresse m’attirait comme le salut que promet la terre ferme au naufragé. Je ne voulais pas du monde tel qu’il était mais servir avec dévouement les dieux qui le dominaient : il y avait une contradiction dans mon désir. Je m’accordai un délai avant d’en prendre conscience, je me suis toujours accordé ces périodes de cécité partielle. Devenir voyante d’un seul coup, cela m’eût détruite ».
Je me rend compte que la façon dont je présente les choses, en privilégiant la trajectoire de Cassandre, rythmée par des crises, contient le risque d’effacer quelque peu la sinuosité du récit d’introspection qui avance, revient en arrière, reprend emportant au passage de nouveaux éléments antérieurs avec des retours à l’enfance comme aux derniers moments de sa vie. Le roman s’organise autour d’une série de retours mnésiques vers les mêmes lieux et les mêmes moments et, bien entendu, les mêmes personnages. Peut-être que ce récit tente aussi de dire quelque chose sur la façon dont la mémoire travaille. Simple hypothèse. C’est terrible à résumer. A chaque fois que je remettais l’ouvrage sur le métier s’offraient de nouvelles pistes. Bien d’autres lectures sont possibles. Mais je ne vais pas tout révéler et vous priver de la lecture du livre. J’espère seulement vous donner l’envie de le lire. J’en profite pour signaler aussi que, bien entendu, le corps est impacté. Il réagit : « la peau de mon crâne se rétracta ». Il a, lui aussi, une mémoire. Dont celle de son viol par Ajax, pas le grand, le petit.
« Pareil aux fourmis, nous nous précipitons dans chaque incendie. Chaque inondation. Chaque fleuve de sang. Uniquement pour ne pas être obligé de voir. Quoi donc ? Nous. »
L’effondrement progressif du nous sera encore précisé
Voici un revenant : Pâris, fils de Priam devait être tué parce que sa mère Hécube avait rêvé qu’elle enfanterait « une bûche dont sortait d’innombrables serpents ardents » et que cela avait été interprété comme le fait que cet enfant portait en lui le malheur de Troie. Il revient dans la cité. Il avait été recueilli par un berger et avait survécu. La volonté de savoir s’incruste en Cassandre mais ceux à qui elles posent des questions n’ont pas de réponses non parce qu’ils les refuseraient mais parce qu’ils n’en ont pas eux-mêmes. Elle apprend mais hors de son milieu de privilégiés, chez ceux qui habitent hors les murs et qui allaient devenir son « véritable foyer », qu’il y a une autre vérité sur Pâris. Cet enfant « pouvait être appelé à redonner tous ses droits à la déesse des serpents en la rétablissant gardienne de chaque foyer ». Son père Priam n’est donc pas différent d’Agamemnon. Tous deux ont sacrifié l’un de leurs enfants. Pour Cassandre ce sont des crimes. Lancinante, cette reprise du thème de la terre-mère opposée à la facticité de Troie. Les serpents, on les retrouvera mais différemment dans un livre ultérieur de Christa Wolf : Médée. Voix. On les verra revenir, cette fois sous forme d’artefact, un peu plus loin. Les sorties de Cassandre hors les murs sont comme un passage « de la tragédie au burlesque », une façon de « ne pas se prendre soi-même au tragique ».
Eumélos et la fin de l’hospitalité.
Au cours d’un repas, à la veille du départ du TROISIEME VAISSEAU, Cassandre apprend que l’on n’a plus le droit de qualifier d’hôte Ménélas, roi de Sparte. Qui a décrété la fin de l’hospitalité et distribue ce que l’on appelle aujourd’hui des éléments de langage ? Un certain Eumélos.
« Qui c’est, Eumélos ? Ah oui. Ce membre du conseil qui présidait désormais la garde du palais. Depuis quand un officier décidait-il de l’usage des mots ? »
Ce personnage a été beaucoup commenté. Je ne m’y attarderai pas. Même s’il a existé dans la mythologie, il est sans doute celui avec qui Christa Wolf a pris le plus de libertés. Je voudrais simplement dire qu’à mon avis, et surtout pour les jeunes générations qui n’en savent plus rien, il n’est pas nécessaire d’invoquer le « Parti » ou la Stasi. Cela y est bien entendu, mais nous en avons sous les yeux chez nous aussi, de même que nous pouvons voir dans chaque nouveauté une régression. Disons simplement que cet arriviste introduit l’option sécuritaire et que le temps d’interprétation des oracles est remplacé par un dispositif de propagande et de manipulation de la langue. Cela ne vous dit rien ?
Au cours de ce même dîner officiel, Cassandre s’aperçoit que quelque chose avait changé dans la cité. Pâris, ivre, bafoue toutes les conventions et annonce, en présence de Ménélas, son époux qu’Hélène lui est promise.
Cassandre :
« Moi seule, j’ai vu. Ai-je vraiment vu ? Comment dire ? J’ai senti. J’ai éprouvé – oui voilà le mot ; car c’était une épreuve, c’est une épreuve, quand je vois quand j’ai vu : ce fut en cet instant que se déclencha le mécanisme conduisant à notre perte ».
C’est d’abord encore une épreuve psycho-pathologique. Petit à petit, elle saura la vivre autrement. Elle sort littéralement d’elle même, pars très loin d’elle et des autres, crie, éructe, ne se contrôle plus, de l’écume sur les lèvres, ne pouvant s’arrêter de « fabriquer de la folie ». Arisbé discrètement revenue prend soin d’elle, lui conseille d’ouvrir son œil intérieur. Elle revient de très loin. Le mensonge, la propagande, la flagornerie s’installent à Troie, les fabriques d’armement tournent à plein régime. On ne montrera jamais Hélène aux Troyens qui la réclament. Et pour cause : elle n’y est pas. C’est une guerre pour un leurre. Une guerre pour la guerre.
« Quand la guerre commence, on peut le savoir. Mais quand donc commence l’avant-guerre ? Si jamais il existait des règles en la matière, il faudrait les transmettre aux autres : Graver dans l’argile, dans la pierre, transmettre. Que pourrait-on y lire ? Entre autres phrases, celle-ci : ne vous laissez pas tromper par les vôtres »
Chronique d’une fin annoncée. Hélène n’existe pas et « une guerre entreprise pour un fantôme ne peut-être que perdue » mais cela elle le crie au palais et non à la population. Elle est encore du côté du pouvoir au sein duquel le secret d’état est partagé. Son père Priam, à qui elle suggère de négocier avec les Grecs reste sourd à tout argument en faveur de la paix. La guerre commença donc. A ce moment-là Cassandre dit encore nous quand elle s’inquiète du sort de Troie.
« Achille leva très haut son épée et l’abattit d’un seul coup sur mon frère. Toutes les règles tombèrent à jamais dans la poussière.
[…]
Qui avait des yeux pour voir, put le voir dès le premier jour : cette guerre nous allions la perdre. Cette fois, je n’ai pas crié. N’ai pas eu de crise de folie. Restai debout immobile. Brisai sans m’en rendre compte le gobelet d’argile que je tenais dans la main. »
Ce frère, Troilos, vit encore et se réfugie dans le temple, Achille y pénètre armé, ce qui ne se fait pas, et le décapite, en quelque sorte l’immole. Cassandre continue néanmoins de plaider pour la négociation. Les Troyens n’ont-ils pas violé les lois de l’hospitalité ?
« Ainsi y a-t-il eu des temps, et je les ai connus, où les morts étaient sacrés, chez nous au moins. L’époque nouvelle n’a respecté ni les vivants ni les morts. Il m’a fallu quelque temps pour le comprendre. Cette époque nouvelle était déjà dans la forteresse avant que l’ennemi ne vînt. Elle a pénétré, j’ignore comment par chaque fissure »
Cassandre ne sait pas les choses d’emblée, la compréhension s’installe progressivement. Souvent elle ressent avant de savoir. Elle a même honte d’avoir cru qu’il put y avoir en elle des vérités toutes faites. Elle prend petit à petit conscience que l’effondrement a déjà eu lieu, comme dirait Walter Benjamin cité en exergue de mon texte. Le délitement de la ville était déjà en cours avant que la guerre ne commence. Il a débuté par la rupture avec ce qui était jusque là sacré : l’hospitalité et le respect des morts. Elle est emprisonnée. Ses parents sont de plus en plus impotents et submergés par des forces qui les dépassent. Ils ont perdu le courage de voir.
Jusque là, Cassandre se considère encore comme faisant partie de l’élite troyenne en tentant de lui faire prendre un autre cours plus pacifique. Elle est bannie par son père qui ne la considère plus comme son enfant.
Nous sortons un court instant de la remémoration par un retour au présent du récit :
« A présent la femme égorge Agamemnon.
A présent, tout de suite, c’est mon tour.
Je remarque que je ne peux pas croire ce que je sais ».
Elle raconte que lors de sa dernière rencontre avec Enée, elle refusa l’anneau « en forme de serpent » que ce dernier a voulu lui offrir et qu’il a ensuite jeté dans la mer. Refus et geste qui restent mystérieux. Peut-être la scène symbolise-t-elle la fin du matriarcat, le serpent étant un attribut de la déesse-mère Gaïa. Ou la fin de l’utopie d’un rapport autre entre les hommes et les femmes. A moins que cela ne signifie de la part de Cassandre le refus de participer au monde à venir d’Enée, un monde qui continuera à avoir besoin de héros et dans lequel elle ne le suivra pas :
« Contre une époque qui a besoin de héros, nous ne pouvons rien faire, tu le savais aussi bien que moi. Tu as jeté dans la mer l’anneau en serpent. Je devrai aller loin, très loin, as-tu dit, et sans savoir ce qui m’attend.
Moi, je reste »
Elle envisage un temps, sans parvenir à y croire, de se jeter aux pieds de Clytemnestre pour la supplier de lui laisser un peu de temps et une esclave afin qu’elle prenne note de son histoire et que celle-ci soit transmise de fille en fille afin « qu’à côté du fleuve des épopées, ce minuscule ruisseau, à grand peine atteigne ces hommes lointains, plus heureux peut-être, vivront un jour ». Une définition du projet de la romancière de nous faire parvenir une voix issue d’un monde sans voix et sans traces écrites, en rupture avec l’épopée héroïque.
Le roi Priam la met à la porte une seconde fois.
« Je croyais toujours qu’il suffisait d’un peu de désir de vérité, d’un peu de courage, pour écarter définitivement tout ce malentendu. Nommer vrai ce qui est vrai et faux ce qui n’est pas vrai : c’est la moindre des choses, pensais-je, et cela eût beaucoup mieux servi notre combat que n’importe quel mensonge ou demi-vérité. Car, pensais-je, on n’allait tout de même pas bâtir toute la guerre – la guerre n’était pas notre vie !- sur les aléas d’un mensonge. »
La vérité est un processus d’élaboration. Elle n’est pas donnée. Elle doit se frayer un chemin entre le dit, le non-dit, le déni. Et trouver un destinataire. Achille, la bête est la métaphore de la pulsion guerrière et aussi de celui et de ce sur quoi les paroles n’ont pas de prise, fussent-elles vraies.
Vient le moment où s’éclaire la raison de tous ces mensonges. Une ville fictive s’installe sur le défaut, sur l’absence, de ville réelle :
« Avec Hélène que nous avions inventée, nous défendions tout ce que nous n’avions plus. Mais que nous étions tenus de déclarer comme toujours plus réel à mesure que cela disparaissait. De telle sorte qu’à partir de mots, de gestes, de cérémonies et de silence naissait une autre Troie, une ville de fantômes dans laquelle nous devions nous installer et nous sentir à l’aise. Étais-je donc la seule à le voir ?
Mais reste encore la peur d’aller fouiller dans ce monde virtuel. Cassandre reste dans la souffrance. Achille, la terreur a pour fonction de conforter les fantômes, bâtisseurs de la fiction factice.
Puis revint le rêve. Celui dont j’ai cité le texte au début. Grâce à lui, elle comprend qu’elle doit se débarrasser des fausses questions et alternatives.
Pendant tout ce temps bien sûr la guerre continue. Elle a duré dix ans. Cassandre n’a pas cessé d’officier, elle y est tenue bien que sachant que « les interprètes des oracles étaient les bouches de ceux qui les commandaient ». Énée revient. Énée, Cassandre. Cassandre, Énée. Un poème d’amour. Et d’une nuit. Énée qui est l’âme de Troie ne doit pas y rester
« Ce dont il faudrait parler au conseil maintenant, pendant la guerre, ce n’est plus l’affaire des femmes.
Évidemment , dit Anchise, puisque cela devient l’affaire des enfants. »
Féroce. Anchise, le père d’Énée est une sorte de dissident discret et proche de la nature particulièrement attaché aux arbres. Cassandre trouve auprès de lui et de ceux qui l’entourent un cocon dans lequel elle se sent bien, loin des imbéciles. Elle en parle encore comme des eux opposé à son nous qui achève de s’épuiser.
« Le nous auquel je m’accrochais devenait transparent, malingre, de plus en plus insignifiant, et le je devenait par conséquent pour moi-même de plus en plus impalpable »
Le je et le nous sont dans un rapport étroit, l’un ne va pas sans l’autre. Un lien s’établit entre la virtualisation de la ville qui se coupe de ses traditions et la dislocation du nous alors que l’autorité du roi pâlit à force de jouer un rôle qui ne lui sied plus. Son policier en chef met l’ensemble de la société sous surveillance et contrôle permanents. « Son pouvoir allait bientôt être total ». Prise de panique, Cassandre se réfugie dans le temple, s’adonne aux cérémonies de sa fonction avec un grand détachement, car elle avait entre-temps « cessé de croire aux dieux ». Elle avait perdu l’espoir mais restait la crainte. Cette dernière ne suffit pas pour retenir les dieux, trop vaniteux pour se contenter de cela. Elle est atterrée par les nouvelles directives adressés aux prêtres de ne plus honorer que les héros vivants et non plus les morts, une rupture avec les fondements de la communauté troyenne. Peut-on espérer vaincre en prenant le masque de l’ennemi. Et si tout en s’en affublant on perdait quand même ? C’est l’ennemi qui dicte la conduite de son adversaire.
Le troisième terme
« Pour les Grecs, il n’y a que la vérité ou le mensonge, c’est juste ou c’est faux, la victoire ou la défaite, l’ami ou l’ennemi, la vie ou la mort. Ils pensent d’une autre façon, ce qu’on ne peut voir, sentir, entendre, toucher n’existe pas. Ce qui est écrasé entre leurs notions tranchantes, c’est l’autre élément, le troisième terme, celui qui selon eux ne peut exister, cet élément vivant et souriant, qui est capable de renaître sans cesse de lui-même, qui ne se divise pas, esprit dans la vie, vie dans l’esprit. »
Cassandre rejette l’option femme domestiquée personnifiée par sa mère, Hécube et sa sœur Polyxène qui la provoque avec ses rêves masochistes voire scatologiques et qui finit par s’offrir à Achille la bête. Mère et sœur ont abandonné Athéna pour Apollon. Elle prend également ses distances avec la femme guerrière, absolutiste, Penthésilée qui se moque de sa prétention à vouloir opposer ses « rêves à des javelots ».
« Entre tuer et mourir existe une troisième possibilité : vivre ».
Cassandre refuse d’accepter le désir de mort chez une femme. Il est plus facile de dire Achille la bête que nous, ce nous qui est ici la communauté à statut égal des hommes et des femmes.
« J’ai une mémoire-peur. Une mémoire-sentiment. »
Cassandre ne parvient pas à se résigner que Troie ne soit plus Troie, Mais la voici enfin prête, se souvient-elle,
« à devenir cette autre femme qui depuis si longtemps bougeait en moi, sous le désespoir, la souffrance et le chagrin. »
Est-ce lié à la mort de son frère Hector dans un combat singulier avec Achille la bête ? Ou à la suite de la tentative de marchandage pour obtenir son corps en lambeaux contre l’équivalent-or de son poids ? Ce sera plutôt une sorte de résurrection après être devenue comme Hector mort « un tas de chair déchiquetée »
« Ce fut ce jour et dans la nuit qui suivirent que fut détruite cette part de nous d’où viennent les rêves, Achille la bête occupait chaque pouce de terrain autour de nous et en nous »
Achille le bourreau sanguinaire, symbole de la brutalité guerrière, de la sauvagerie sans foi ni loi achève de dominer les esprits. Massacres de représailles et de contre représailles des Grecs contre les otages prisonniers troyens et réciproquement.
Cassandre libère Énée de son engagement à prendre soin d’elle. Ce dernier la porte chez « les femmes dans les grottes » où elle trouve refuge, réconfort et guérison et où sa voix trouve « l’espace qui était prévu pour elle ». « Là, enfin, j’avais le nous ». Grâce à un trou dans le déroulement du temps qui permet aussi le retour du rêve. Hécube vient la chercher pour la faire participer à un plan visant à frapper Achille en son talon en se servant de Polyxène. Cassandre refuse tant le plan que l’injonction de se taire. Elle est arrêtée, embastillée. La rupture avec son milieu est consommée. Quand elle se remet à parler, c’est avec les souris, « avec un serpent qui logeait dans un trou et qui s’enroulait à mon cou pendant mon sommeil », avec le rayon de soleil qui pénètre à travers l’ouverture qu’elle a réussi à pratiquer dans l’ouvrage d’osier dans lequel elle est enfermée. Le rapport au serpent est ici d’abord un rapport avec la terre. A la différence de Médée qui est elle même une « pharmacienne », une guérisseuse, ce sont Arisbé et Marpessa qui soignent Cassandre.
Ceux qui réussissent leur coup ont finalement raison : Achille a été tué.
Sur le Mont Ida où se trouve le sanctuaire de Cybèle, déesse-mère symbolisant la nature sauvage mais signifiant aussi la gardienne des savoirs (Kybélê), elle découvre un nouvel univers de gaîté, de fruits de la terre, de chants, de danses mais aussi de partage des savoirs :
« Nous ne cessions d’apprendre. Chacune faisait profiter l’autre de son savoir particulier »
Un Territoire apprenant contributif, comme lieu d’expérimentation et de capacitation, en quelque sorte. Le savoir soit dit en passant passe en premier lieu par la main et le travail manuel. Elles se torturent néanmoins les méninges pour imaginer comment laisser un message aux générations futures, elles qui ne possèdent pas l’écriture. Pourquoi ne pas graver dans les cavités rocheuses des représentations de leur époque. Une expérience et une expérimentation.
«Nous étions reconnaissantes qu’on nous permit de jouir de ce privilège suprême : projeter un mince rayon d’avenir dans les ténèbres du présent, qui tient chaque époque sous son emprise »
Avec son expérience de vie qui bute sur les obstacles infranchissables et ne mènent à aucun résultat, Cassandre effleure un instant l’expérimentation vers une alternative.
Priam la fait chercher pour être donnée à Eurypylos, ici le fils de Télèphe, en échange de renforts de troupes. Un mariage forcé dont elle aura des jumeaux.
« Tout ce qu’il faut vivre, je l’ai vécu »
Tout ? Nous approchons de la fin de la remémoration analytique de sa vie entamée peu avant sa proche exécution.
Et le cheval, alors ?
Il arrive pour la toute fin qui est aussi celle de Troie où personne ne s’étonne que le cheval soit si grand. La fin de la cité comme son début sont qualifiés de « déshonorante imposture ». Les Troyens ont même oublié qui elle était. Ils n’ont retenu que sa folie. Elle est folle, c’est tout. Massacre final. Cassandre croise une dernière fois Eumélos, le policier en chef de la cité qui est parti à temps et qu’elle qualifie de Personne. Elle comprend que si personne ne voulut la croire comme ce Personne, sans personnalité propre, c’est tout simplement qu’ils en sont incapables. « Alors, je maudis Apollon ».
Les vainqueurs écriront l’histoire leur façon. Cassandre aura tenté de donner sa version. Peut-être même aura-t-elle réussi à faire, ne serait-ce qu’un peu, bouger les choses en démythifiant cette « guerre de rapine » dont la glorification est à l’origine de la littérature de l’occident.
Les bourreaux arrivent.
Bascule vers la narratrice pour les dernières phrases du livre, le passé devient présent. Nous retournons à la porte des lionnes, devant l’abattoir où elle s’est arrêtée pour nous conter par introspection, son histoire :
« C’est ici [et non plus c’était ici]. Ces lionnes de pierres l’ont regardée. Dans la lumière qui change, on dirait qu’elles bougent ».
C’est une nouvelle figure de Cassandre que nous propose Christa Wolf en dévoilant une origine plus profonde à son don de voyante disant la vérité sans être crue. Il est le résultat d’un travail, et d’abord d’un travail sur elle-même. Cassandre est une voix autre que celle des guerriers enfermés dans l’opposition binaire ami/ennemi et qui soumettent tout à cette dichotomie qui les aveugle. La mise à jour des tendances autodestructrices à l’œuvre dans la cité prennent le pas sur les prophéties par ailleurs transformées en outils de propagande. L’autodestruction de Troie allait au-devant de sa destruction par l’ennemi.
« Cassandre, c’est celle qui dit non. Vous me dites que c’est une femme forte, je ne le crois pas. Elle est la voix de l’être humain contre la Cité, la société. Et c’est de plus en plus important dans notre époque où la pensée commune asphyxie l’esprit. Cassandre, ça se joue en une heure, la dernière heure avant sa mort. »
(Fanny Ardant, interprète de Cassandre dans l’Opéra parlé de Michael Jarrell. Le rôle avait été créé par Marthe Keller)
Certes, elle dit en effet non mais avec une furieuse envie de pouvoir dire oui, ce qui lui est impossible. Cette impossibilité ne tient pas à elle-même mais aux structures de domination. Christa Wolf a fait le choix – judicieux parce plus riche – de ne pas en faire une rebelle. En mettant aussi en évidence son statut social de fille de roi. En optant, par ailleurs, pour celui de son exécution, ce qu’elle ne fera pas pour Médée. Et si on ne veut pas croire ce que dit Cassandre, ce n’est pas en raison de je ne sais quelle malédiction mais parce que le pouvoir en place est incapable de croire, pas seulement à ce qu’elle dit mais incapable de croire en quoi que ce soit, n’ayant pas d’autre alternative que la guerre. La prise de conscience de Cassandre est laborieuse, complexe et progressive, souvent dans la souffrance. Elle va de pair avec la dislocation du nous que constitue l’élite troyenne dont elle fait partie et passe par la découverte d’un ailleurs plus proche de la terre et de ses mystères dont elle a gardé un souvenir d’enfance par sa nourrice et qu’elle redécouvre.En filigrane du récit de Christa Wolf, l’espérance d’un monde partagé entre les hommes et les femmes. Nous n’y sommes pas encore.
Je vous invite à écouter quelques minutes la voix de Christa Wolf au cours d’une lecture-performance de Cassandre. Elle commence par quelques mots de la poétesse grecque de l’Antiquité, Sappho, cités en exergue du récit.
Internation à Genève, le 10 janvier 2020
Saisie d’écran du site du projet Internation
Greta Thunberg :
« Nous ne pouvons résoudre une crise si nous ne la traitons pas comme telle »
António Guterres :
« Si je devais choisir une phrase pour décrire l’état du monde, je dirais que nous nous trouvons dans un monde où les défis mondiaux sont de plus en plus intégrés et les réponses sont de plus en plus fragmentées, et si cela n’est pas inversé, c’est une recette pour un désastre.
Maintenant, si l’on regarde la politique mondiale et les tensions géopolitiques, avec l’économie mondiale et les méga tendances – changement climatique, circulation des personnes, numérisation – la vérité est qu’elles sont de plus en plus liées, interférant de plus en plus les unes avec les autres . Et en effet les problèmes sont globaux mais les réponses sont fragmentées ».
António Guterres, secrétaire général de l’ONU, à Davos, le 24 janvier 2019
Le 10 janvier 2020 se commémorera le centième anniversaire de la Société des Nations fondée à Genève. Elle est devenue, en 1945, l’ONU. Les deux organisations avaient été créées aux lendemains des Première et Deuxième guerres mondiales. Le centenaire se situe dans un contexte d’urgence climatique extrême tandis que de nombreux États sont dirigés par des hommes politiques réactionnaires et dénégateurs alors que les autres n’inspirent guère plus de confiance. Sans compter ceux qui, certes, font mine de savoir que « la maison brûle » et qui continuent cependant à regarder ailleurs ou de ne pas apporter de réponses à la hauteur des enjeux. On observe dans le même temps un accroissement des inégalités mondiales et le développement de crises et tensions régionales qui se rapprochent dangereusement. Elles sont alimentées par les guerres économiques et les conséquences dramatiques du réchauffement climatique qui affecte déjà l’ensemble des droits humains à la vie, à la santé, au logement, à l’eau.
Dans ce contexte et à cette occasion, le 10 janvier 2020, le groupe Internation proposera à l’ONU les grandes lignes du travail entrepris depuis septembre 2018, une démarche globale pour affronter la nécessaire transition, des pistes de réponses positives aux discours que António Guterres, a tenus les 10 septembre 2018 et 24 janvier 2019, ainsi qu’à ceux de Greta Thunberg devant l’Assemblée Nationale, en France, le 23 juillet dernier, puis devant les Nations Unies, à New York, le 23 septembre dernier.
Internation est un collectif transdisciplinaire qui a été constitué à la Serpentine Gallery de Londres le 22 septembre 2018, à l’initiative de Hans Ulrich Obrist et Bernard Stiegler, et auquel se sont joints de nombreuses personnalités du monde entier (scientifiques, mathématiciens, juristes, économistes, philosophes, anthropologues, sociologues, médecins, artistes, ingénieurs, chefs d’entreprises, activistes, designers).
Le collectif essaime depuis l’Institut de recherche et d’innovation du Centre Pompidou.
Comme l’explique ci-dessous, dans l’extrait vidéo de la chaîne Thinkerview, Bernard Stiegler, la guerre économique, dans laquelle nous sommes et qui a été déclenchée par la révolution conservatrice et renforcée par les disruptions numériques, détruit le monde par l’accélération de la production d’entropie. Il souligne combien la question est épistémologique car nous ne sommes plus dans la physique newtonienne et il faut repenser les bases scientifiques de l’économie. L’économie « newtonienne » de l’ancien monde ignore les lois de la thermodynamique. Nous vivons dans l’anthropocène que le philosophe définit dans ses trois dimensions entropiques :
«L’anthropocène est [..] ce qu’il convient de caractériser comme une liquidation des localités et une augmentation générale et planétaire de l’entropie thermodynamique comme augmentation de la dissipation de l’énergie, de l’entropie biologique comme destruction de la biodiversité, et de l’entropie informationnelle comme destruction de la noodiversité.»
(Bernard Stiegler : Qu’appelle-t-on panser ? Editions les Liens qui libèrent page 77)
La toxicité de l’anthropocène aboutit à une organisation économique irrationnelle incapable de prendre soin de la biosphère, de la biodiversité et des populations humaines. Il faut donc introduire la question de l’anthropocène dans celle du rationalisme pour travailler à la transformation des bases de l’économie en les plaçant sous le signe de la lutte contre l’entropie. Et pour cela élaborer une nouvelle comptabilité mondiale qui en rende compte. Avec le capitalisme industriel, les savoirs ont été soumis à la production de profits, la recherche assujettie à la spéculation, à la calculabilité et la prolétarisation.
La caractéristique de l’espèce humaine tient à son exosomatisation. Pour vivre et se développer, elle se crée des instruments dont elle ne dispose pas à la naissance. Ils sont « à l’extérieur du corps » L’homme produit des exorganismes, des organes artificiels qui eux-mêmes vont des plus simples au plus complexes, des piscines pour nager comme le poisson, les avions pour voler comme l’oiseau. Cela au terme d’une longue évolution au cours de laquelle il a d’abord appris à tailler le silex. Le milieu humain est technique. Ces exorganismes sont entropiques et par là même anthropiques. Mais ce sont aussi des pharmaka, des poisons comme des remèdes, Et nécessitent des prescriptions de soins pour devenir néguentropiques.
Territoires laboratoires
Une telle politique de soins ne peut être que locale. Seule la localité permet qu’un processus de diffèrement de l’entropie puisse avoir lieu. A partir de ces considérations, qui analysent les raisons pour lesquelles ni les États ni les entreprises ne parviennent à répondre aux défis de l’ère anthropocène, le collectif Internation proposera le 10 janvier au cours d’une conférence de presse à Genève des pistes et des méthodes pour surmonter cet état de fait.
« Le travail du collectif Internation s’est articulé autour d’une proposition consistant à expérimenter dans des territoires laboratoires mis en réseau de nouvelles méthodes de recherche dites contributives, associant des chercheurs issus de différentes disciplines et des acteurs du territoire (associations, entreprises, acteurs publics, habitants), afin de créer des activités économiques solvables luttant contre l’entropie. L’hypothèse est que cette proposition pourrait pourrait devenir opérationnelle à travers la publication par l’ONU d’un appel d’offre invitant les acteurs de territoires candidats à s’engager collectivement dans de telles démarches de recherche contributive ».
résume le communiqué de presse du groupe qui préconise la formation et la mise en réseaux de territoires-laboratoires
Le concept d’internation a été emprunté à l’anthropologue Marcel Mauss qui l’a élaboré autour des années 1920. Dans sa réflexion sur la nation, alors qu’il était lui-même membre de l’Internationale socialiste, il prévenait que la nation comme localité n’était pas obsolète et ne pouvait se dissoudre dans le global. Il proposait l’internation en opposition à l’internationnalisme tout autant qu’à l’absence de nation, l’a-nation. S’il le disait face à l’internationalisme qui fut qualifié de prolétarien, nous sommes aujourd’hui devant une autre forme d’internationalisme, un globalisme destructeur de la singularité des localités et reposant sur le dogme de la pseudo-autorégulation des marchés. Moscou a émigré à Wall-street. L’affirmation de Marcel Mauss peut se décliner. Si la nation est une échelle de localité, elle ne doit ni dissoudre elle-même l’infra-national, tendance forte en France, ni être absorbée par le supra-national tout en pensant les hétéronomies, point de départ de la réflexion de M.Mauss et en pansant les multiples échelles de localités, les villes et les régions mais aussi en prenant soin des localités biologiques, sociales, informationnelles. En cultivant leurs singularités dans leur diversité, on évite la babélisation du monde c’est à dire l’uniformisation et la standardisation des langues, des cultures, des savoirs-faire, -vivre, et -penser locaux. J’ai évoqué ces questions de la localité ici et là. On peut intégrer dans la définition de l’internation la dimension d’une communauté d’efforts, comme précisé plus loin, ainsi que celle d’un partage des savoirs locaux.
Si j’ai résumé à gros traits les principes généraux qui guident le groupe Internation, je n’aborderai pas ici toute la richesse de 16 mois de travail collectif qui se décomposent en neuf approches qui sont : 1. l’épistémologie, 2. les dynamiques territoriales, 3. l’économie contributive, 4. la recherche contributive, 5. l’internation comme institution, 6. le design contributif, 7. l’éthique dans l’ère Anthropocène, 8. l’addiction et le système dopaminergique, 9. l’économie politique globale du carbone (du feu) et du silicium (de l’information).
Cela sera présenté à Genève, le 10 janvier prochain et devrait paraître sous forme de livre fin janvier. Les récents Entretiens du nouveau monde industriel ont constitué un jalon important dans l’élaboration des thèses du groupe. Ceux que cela intéresse peuvent suivre ces contributions ici.
Pour un système mondial de la responsabilité
Je voudrais cependant retenir l’une d’entre elles, celle du juriste, spécialiste du droit du travail, Alain Supiot, professeur au Collège de France. On trouvera ci-dessous un extrait de son intervention. Dans la foulée du Traité de Versailles qui avait fondé la Société des nations avait aussi été créée l’Organisation internationale du travail qui affirmait qu’il ne pouvait y avoir de paix sans justice sociale. Sa constitution, fruit des expériences les plus mortifères, reposait et repose toujours sur les attendus suivants :
« Attendu qu’une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale;
Attendu qu’il existe des conditions de travail impliquant pour un grand nombre de personnes l’injustice, la misère et les privations, ce qui engendre un tel mécontentement que la paix et l’harmonie universelles sont mises en danger, et attendu qu’il est urgent d’améliorer ces conditions: par exemple, en ce qui concerne la réglementation des heures de travail, la fixation d’une durée maximum de la journée et de la semaine de travail, le recrutement de la main-d’œuvre, la lutte contre le chômage, la garantie d’un salaire assurant des conditions d’existence convenables, la protection des travailleurs contre les maladies générales ou professionnelles et les accidents résultant du travail, la protection des enfants, des adolescents et des femmes, les pensions de vieillesse et d’invalidité, la défense des intérêts des travailleurs occupés à l’étranger, l’affirmation du principe «à travail égal, salaire égal», l’affirmation du principe de la liberté syndicale, l’organisation de l’enseignement professionnel et technique et autres mesures analogues;
Attendu que la non-adoption par une nation quelconque d’un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d’améliorer le sort des travailleurs dans leurs propres pays »…
L’OIT a emménagé à Genève à l’été 1920
Dans son intervention aux Entretiens du nouveau monde industriel qui se sont déroulés au Centre Pompidou, les 17 et 18 décembre derniers, après avoir examiné la question du droit comme technique ce qui l’amène aux questions de l’âge cybernétique qui prétendrait que l’on pourrait se passer aujourd’hui de droits et de normes, Alain Supiot en vient à celles de l’inscription territoriale des lois et au « dés-ancrage » de l’ordre juridique dans son rapport à la localité. Il rappelle que Montesquieu plaidait pour la relativité des lois humaines. Cela pour les inscrire dans la diversité des caractéristiques des localités auxquelles elles s’appliquent alors que globalement le droit international est aujourd’hui porté par la vision d’un monde rendu uniforme par une égale réduction aux droits de l’homme et à l’ordre spontané du marché, un monde réduit à l’état de particules contractantes soumettant l’intérêt général aux règles du droit privé. La notion même de limites semble aujourd’hui taboue. Il note que la faiblesse des textes internationaux actuels est de raisonner en termes de droits et non d’obligations.
Dans l’extrait ci-dessus, le juriste propose d’utiliser une particularité de la langue française pour distinguer la globalisation de la mondialisation :
« …le problème de notre temps n’est […] pas d’avoir à choisir entre globalisation et repliement national, mais de bâtir un ordre juridique mondial solidaire et respectueux de la diversité des peuples et des cultures. Cette perspective tierce, la langue française nous offre un mot pour la nommer, avec la distinction qu’elle autorise entre globalisation et mondialisation. Mondialiser, au sens premier de ce mot (où « monde » s’oppose à « immonde », comme « cosmos » s’oppose à « chaos »), consiste à rendre humainement vivable un univers physique : à faire de notre planète un lieu habitable. Autrement dit, mondialiser consiste à maîtriser les différentes dimensions écologique, sociale et culturelle du processus de globalisation. Et cette maîtrise requiert en toute hypothèse des dispositifs de solidarité, qui articulent la solidarité nationale aux solidarités locales ou internationales ».
Alain Supiot propose de penser, dans la tradition de Montesquieu, le monde comme une mosaïque de cultures, d’histoire et de traditions, de stopper la course au moins-disant social et écologique et dénonce la schizophrénie d’un ordre mondial dans lequel les préconisations sanitaires, alimentaires comme celles de l’OMS et de la FAO, éducatives aussi, sont contredites par celles du FMI ou de l’OMC.
En conclusion, il propose trois principes de gouvernementalité mondiale :
– La solidarité comme réponse à l’interdépendance avec l’idée d’une communauté d’effort qui n’impose pas à tous de faire la même chose mais dans le même sens néguentropique. C’est une façon de répondre à la préoccupation de fragmentation d’A. Guterrez
– Dans le domaine de la démocratie économique, il y a nécessité de donner aux salariés le pouvoir d’interroger le pourquoi et le comment l’on travaille. Il insiste sur les potentialités de l’une des dimensions contenue dans la Déclaration de Philadelphie : l’emploi des travailleurs à des occupations où ils aient la satisfaction de donner toute la mesure de leur habileté et de leurs connaissances et de contribuer le mieux au bien-être commun. Cela permettrait de sortir d’une situation dans laquelle, au nom de la préservation de l’emploi, on peut produire n’importe quoi et quelle que soit la toxicité du processus et du produit du travail.
– Il faut aussi affirmer la primauté des normes écologiques et sociales sur les normes économiques et financières et inclure les entreprises dans un droit international de responsabilité. Le principe de responsabilité écologique et sociale est essentiel car l’actuel « ordre mondial » est un désordre d’irresponsabilité généralisée notamment de la part des grandes entreprises. Les donneurs d’ordre ont autant de responsabilité que les sous-traitants.
Mami Watta
Pour finir, je vous offre l’image de cette figurine de Mami Wata, la « mère eau » qu’on peut voir dans l’exposition Spektral-Weiß (Spectres blancs) à la Maison des Cultures du monde de Berlin (HKW). Elle n’est hors sujet qu’en apparence superficielle, car cela fait aussi partie des questions évoquées.
Photo: Silke Briel/HKW
Cette figure de Mami Wata est une fusion de l’esprit de l’eau ouest-africain, de nixe européenne et de beauté indienne bollywoodienne. Elle porte presque toujours un serpent. Dans la « mère eau » se marie beauté et effroi, danger et désir. L’ethnologue de Cologne Julius Lips voyait dans les sculptures de Mami Wata un dialogue d’artistes africains avec les européens. A moins que ce ne soit la représentation d’une femme des Samoa qui, en 1885, faisait la charmeuse de serpent dans un cirque de Hambourg ? Mystère.
L’exposition, si j’en crois le dossier de presse car je ne l’ai pas vue, reconstruit avec des lacunes et des extensions la collection d’objets de l’ethnologue allemand Julius Lips (1895-1950). Il est un des rares à avoir échappé à l’instrumentalisation de l’ethnologie par les nazis. Dans son exil américain, il avait, en 1937, publié son livre The Savage Hits Back (« La riposte du sauvage ». Le sous-titre, The White Man through Native Eyes « L’homme blanc vu par les indigènes »). Ces objets sont des représentations européennes de l’époque coloniale explicitement présentées avec une visée antiraciste. La collection interroge les zones d’ombres qui empêchent d’échapper à la matrice du regard blanc. Peut-on se contenter de tendre et de renverser le miroir ?
Kolonialer Forscher mit Fernglas Sammlung Heike Behrend Foto Anita Back (HKW)